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RDC © Guillaume Binet / MYOP pour Action contre la Faim

En Immersion

Carnet de bord #3

La problématique de l’accès : de Kamako à Kamonia

Route cabossées et pluies torrentielles

La Land Cruiser blanche marquée du logo Action contre la Faim vrombit, quitte le sol quelque instants, puis atterrit, lourdement, sur la terre rouge cabossée. Ma tête heurte la vitre dans un bruit sourd. La route du territoire de Kamako est parsemée de bosses, de creux, de trous. Autour de cette petite ville frontalière de l’Angola, située à 150km de Tshikapa, la nature a eu gain de cause sur les sentiers. En République démocratique du Congo – pays-continent qui fait quatre fois la taille de la France – le réseau routier est extrêmement altéré. Le transport est un véritable défi, en raison de la géographie du terrain, mais aussi des conditions climatiques, notamment pendant la saison des pluies. Autour de nous, la glaise semble sans cesse aspirer les pneus, puis les recracher violemment.

Pendant que je me frotte le crâne, Jacques, chauffeur pour Action contre la Faim et fin connaisseur de la région, maîtrise le terrain. Dans cette terre boueuse et sur ces routes chaotiques, il y a selon lui deux règles d’or pour ne pas s’embourber : toujours choisir la voie qui semble la moins évidente lorsque deux options existent ; et naviguer de droite à gauche avec le volant lorsque le terrain est trop glissant. Nous amorçons une descente à pic, j’enroule mes pieds sous le siège, afin de ne pas me cogner une fois de plus.

En bas de la descente, nous traversons un point d’eau, et, tant bien que mal, Jacques essaie de ne pas perturber de ses roues les familles qui y lavent leur linge et baignent leurs enfants. Il n’est pas compliqué de deviner que ces hommes, femmes et enfants sont des retournés d’Angola – la frontière est à quelques kilomètres à peine. Selon le chef de la Direction générale des migrations (DGM) à Kamako, ils seraient quelques 33 000 Congolais à s’être réfugiés dans les camps UNHCR en Angola depuis le début du conflit qui ravage le Kasaï, et ces déplacements continuent en raison de la persistance des incidents de sécurité dans la région. En effet, des tensions intercommunautaires en recrudescence s’ajoutent aux combats entre la milice Kamuina Nsapu et les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC). Toujours selon le chef de la DGM, ils seraient également plus de 8 000 à avoir repassé la frontière dans l’autre sens depuis juin. Ces retournés d’Angola cherchent aujourd’hui à rentrer chez eux pour rétablir leurs moyens de subsistance, mais en raison des destructions importantes qu’a connu la région, ils exercent une forte pression financière sur les populations d’accueil.

Les cicatrices de Kamako

Au bord du point d’eau, nous descendons de la voiture quelques instants pour engager la discussion avec des villageois. Ceux-ci nous racontent le martyre de la région : à Kamako, 84 personnes auraient été tuées, plus de 2 600 maisons auraient été détruites, tandis que 24 centres de santé et 23 écoles auraient été brûlées. Les histoires de décapitation et de mutilation sont légion sur la route des Kasaï : les coups de machettes sont la marque de fabrique de la milice adolescente Kamuina Nsapu, auxquelles s’ajoutent des massacres par armes à feu, à bout portant, des FARDC, et des conflits inter-ethnique à l’arme blanche. Un homme nous guide près d’un monticule de terre, qu’il désigne tristement. Ici, un vieil homme, père de sept enfants, a été décapité et son corps laissé à l’abandon par la milice Kamuina Nsapu.

Non loin de là, un couple avec une fillette marche lentement, le regard rongé d’inquiétude. La petite fille de deux ans est brûlante, ne cesse de pleurer dans un demi-sommeil fiévreux. Constantin, son père, raconte qu’il vient du camp de réfugiés UNHCR en Angola. Il y a deux jours, leur petite dernière est tombée malade. Sa femme Victorine et lui ont pris la route après avoir entendu qu’Action contre la Faim prenait en charge des enfants malades dans le centre de santé de Kamako. Leurs aînés sont devant, en éclaireurs, mais le couple est ralenti par l’état de la fillette.

Nous faisons monter Constantin, Victorine et leur fille dans le véhicule, et nous prenons immédiatement la route du centre de santé où Action contre la Faim intervient. Dans ce centre, nous appuyons le traitement de la malnutrition aigüe sévère. A peine arrivée, la petite fille est prise en charge par les médecins du centre. Elle est vraisemblablement atteinte de paludisme. Ses parents passeront la nuit avec elle au sein du centre de santé. On nous assure qu’ils sont bien pris en charge, que nous pouvons reprendre la route.

Le difficile accès humanitaire, double peine des populations

Au moment du départ, Constantin nous remercie : pour lui la présence des ONG dans la région est salvatrice. 

 

"Pourtant cette présence est difficile à assurer et à maintenir en raison de l’accès limité à certaines zones."
Coline-Aymard
Coline Aymard
Chargée de Communication, République Démocratique du Congo

Au mauvais réseau routier, s’ajoutent la destruction des infrastructures en raison des conflits (ponts, bacs) et l’étendue géographique des zones touchées. Sur ces routes chahutées, les problématiques logistiques sont telles que les camions d’Action contre la Faim mettent 10 jours pour acheminer de l’aide depuis Kinshasa.

Quant aux zones estimées « accessibles », la situation sécuritaire volatile y rend l’intervention des ONG tout aussi compliquée. Pour pouvoir intervenir, les structures humanitaires doivent interagir avec les forces de sécurité nationales, qui connaissent mal le fonctionnement de l’action humanitaire. Par ailleurs, les nombreux barrages militaires sur les axes augmentent considérablement les temps de trajet.

CarnetBord4

Sur le trajet vers Kamonia, petit fief du Kasaï où Action contre la Faim intervient en nutrition et santé, les herbes à éléphants avalent le décor de brousse. Autour de nous, derrière ces herbes hautes, nous voyons défiler des ruines de villages entiers réduits en cendre. Aux abords de cette route qui semble aujourd’hui si silencieuse, tout a été détruit, et tout le monde a fui pour se cacher dans la forêt.

Ciel de traîne et perpétuelles incertitudes

A l’approche de Kamonia, la rivière nous ouvre les bras ; elle est large et agitée. Il est impossible de traverser en voiture pour rejoindre notre destination. Pour acheminer l’aide, les ONG ont réhabilité provisoirement un bac qui permet aux véhicules et aux personnes de passer de l’autre côté du cours d’eau.

Pendant que nous enfilons nos gilets de sauvetage, quatre hommes préparent le bac. A l’aide de quelques bouts de caoutchouc, ils installent un petit pont qui permettra à la Land Cruiser de monter sur la plateforme. Au vu de la minceur du pont, il faudra être adroit pour réussir à faire grimper le véhicule du premier coup. Mais Jacques est un chauffeur aguerri. Il lance le moteur, et la voiture se range sagement sur le bac. A notre tour maintenant de nous hisser sur la plateforme, avant que le bac ne se lance pour atteindre l’autre rive. Le fanion Action contre la Faim – qu’arbore la voiture comme un drapeau blanc protecteur – vole au vent, tandis que nous voyons la terre se rapprocher.

Soudain, au-dessus de nos têtes, de gros nuages se forment. Une pluie chaude se met à tomber dans la rivière et sur la terre rouge, promettant de rendre la fin du trajet plus difficile encore.

 

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Coline-Aymard

Coline aymard
Chargée de Communication

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