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RDC © Guillaume Binet / MYOP
pour Action contre la Faim

En Immersion

Carnet de bord #4

Epilogue: Retour à Kinshasa, parcours imprévisible en RDC.

Nous roulons depuis plusieurs heures dans la Land Cruiser aux couleurs d’Action contre la Faim. Le paysage défile sous nos yeux, dans un mélange de nuances de terre battue et de vert tendre. En remontant en voiture les quelques 1 000 km qui séparent Tshikapa de la capitale, nous savons que l’heure et le jour d’arrivée seront aléatoires. Nous ferons le parcours en deux étapes : la première partie du trajet, jusqu’à une petite ville nommée Kikwit, n’est pas asphaltée, et les pluies saisonnières décuplent le risque d’embourbement. Demain soir, peut-être, nous serons à Kinshasa. Mais en République démocratique du Congo (RDC), tout est imprévisible. Je repense aux trois mots choisis par Luc Bellon, le directeur d’Action contre la Faim en République démocratique du Congo, pour tenter de décrire le contexte du pays : imprévisibilité, instabilité, ténacité.

"En remontant en voiture les quelques 1 000 km qui séparent Tshikapa de la capitale, nous savons que l’heure et le jour d’arrivée seront aléatoires."
Coline-Aymard
Coline Aymard
Chargée de communication, République Démocratique du Congo

Imprévisibilité

Cette imprévisibilité, je la vois autour de moi, tandis que nous remontons la Nationale 1 qui sillonne le pays. Les villages alentours, brûlés ou désertés, portent les stigmates des violences qui ont agité la région depuis août 2016. Pourtant, avant cet épisode de conflits, cela faisait plus de 60 ans que les provinces du Kasaï n’avaient pas été confrontées à des luttes armées. Qui aurait pu le prédire ? Ni les experts, ni le gouvernement, ni les habitants de la région eux-mêmes. À nouveau, je repense à une anecdote de Luc Bellon. Anthropologue et chercheur de formation, cela fait 15 ans qu‘il a mis son expertise technique au service des organisations humanitaires. Il raconte qu’en 2016, il s’en rendu à Kalomba, petite ville du Kasaï occidental, pour estimer la faisabilité d’un projet destiné à traiter les causes profondes de la sous-nutrition. En deux semaines, il a pu faire le constat d’une grande stabilité dans la zone, où il semblait tout à fait opportun de mettre en place ce projet ambitieux de trois ans, au croisement entre urgence et développement. Pourtant, quelques semaines plus tard, alors que les populations villageoises n’avaient pas connu de conflits armés depuis presque trois générations, la région s’est embrasée. Ce contexte, insaisissable, mouvant, fait la particularité du pays.

Pour Luc, cette imprévisibilité est parfois perçue à tort comme la caractéristique d’une crise intrinsèque au pays. Pourtant, c’est là que réside toute la complexité du contexte : il ne s’agit pas d’une seule crise en cours depuis vingt ans. Il s’agit de plusieurs crises qui se succèdent, parfois dans une temporalité courte, mais qui ont une construction et des dynamiques différentes. Il est aujourd’hui urgent de prendre conscience de cette réalité qui complexifie la réponse opérationnelle sur le terrain.

Instabilité

Le chauffeur ralentit. Nous voici à un barrage, une sorte de check-point sur la route, au milieu de nulle-part. Les agents en uniforme engagent la conversation avec notre chauffeur : il va falloir montrer patte blanche.  Placés là pour assurer la sécurité des routes, mais également pour prélever des taxes, des agents nous demandent nos papiers d’identité, nos ordres de missions et nos autorisations de présence sur le territoire. Nous sommes identifiés comme ONG, mais cela ne nous exempt pas de contrôles. Des ordres de mission, nous en avons pléthore : un papier pour justifier de notre présence avec Action contre la Faim à Kinshasa, un autre pour le territoire de Tshikapa, de Kamako… On nous avait prévenus: ici, les formalités administratives peuvent prendre des heures, et les vérifications se font à la virgule.

Nous sortons donc les liasses de papier imprimées à l’avance. Les deux agents s’en saisissent, les observent une par une à la loupe, nous appellent nominativement, nous scrutent. Avant de nous laisser partir à contrecœur, ils ne perdent pas l’occasion de nous demander de payer. Le chauffeur sourit en passant son chemin : « la négociation fait partie du jeu », assure-t-il.

En traversant ces paysages foisonnants et verts, une contradiction majeure saute aux yeux, comme un indicible mystère, une honteuse réalité. Dans un pays tropical où tout pousse, dans lequel un minimum d’infrastructures permettraient non seulement de nourrir tout le Congo, mais également toute la région, des millions de personnes meurent de faim. En République démocratique du Congo, près de dix millions de personnes sont en situation d’insécurité alimentaire.

Les explications sont multiples, nous les avons entraperçues sur la route des Kasaï. Un contexte politique difficile à l’aube de nouvelles élections et un climat de contestation vis-à-vis du gouvernement, une priorisation économique envers l’exploitation minière – plus lucrative – plutôt que l’exploitation agricole, et des luttes armées nouvelles et anciennes qui se superposent à ce terrain déjà miné. Cette instabilité structurelle, nous la voyons sur les routes, tout autour de nous. Loin de Kinshasa, loin des villes, loin de tout, le Kasaï enclavé est extrêmement précaire. Et cette instabilité n’est pas le lot d’une seule région, mais bien la réalité du pays entier.

Alors que le soleil commence à baisser dans le ciel et que nous approchons de Kikwit, la surprise du jour, c’est que nous sommes arrivés sans encombre, avant même la tombée de la nuit. Nous ne reprendrons la route que le lendemain. En regardant la carte, je réalise que nous sommes un petit point au milieu d’une région grande comme l’Italie, au cœur du Congo, au centre de l’Afrique.

Ténacité

A l’aube, nous entamons la deuxième étape du retour, le dernier tronçon de route, direction Kinshasa. Nous espérons ne pas arriver trop tard. Le jour suivant, dimanche 21 janvier, des manifestations importantes se tiendront dans la capitale. Dès le soir même, la ville sera bloquée par des contrôles de police.  

Ici, nous retrouvons l’asphalte. Je n’aurais jamais pensé le remarquer avec une telle joie, et pourtant, c’est pour notre petit équipage un réel soulagement. Nos membres sont épuisés des mouvements violents provoqués par des routes cabossées. Sur ces routes asphaltées, comme sur la terre battue, partout où nous passons, nous croisons des femmes portant des bassines d’eau sur leur tête. Sous un soleil dru ou sous une pluie battante, nous les voyons, imperturbables, aller et revenir à la source, parfois à des kilomètres, pour trouver de l’eau.

A Kamonia et à Tshikapa, Action contre la Faim a aidé à aménager des sources afin de faciliter l’accès à l’eau et réduire la pénibilité de cette tâche. Dans la zone de santé de Kasala, visitée quelques jours plus tôt, ce sont surtout les petites filles qui sont missionnées pour descendre le long chemin sinueux qui mène au bas d’une falaise et y remplir le lourd bidon, qu’elles remontent ensuite laborieusement sur leurs têtes. Grâce au travail d’Action contre la Faim, le temps de remplissage a considérablement diminué, et l’accès à l’eau potable a augmenté de manière proportionnelle, contribuant à réduire les maladies hydriques.

 

Sur les routes goudronnées, nous croisons ces femmes et ces fillettes, comme des représentations de la ténacité évoquée par Luc. Symboles de résilience, elles marchent des heures et adaptent leur quotidien à une instabilité récurrente.

Marquées par trop de précarité, d’incertitudes, les populations ne se projettent pas dans l’avenir.

ÉPILOGUE

A l’approche de Kinshasa, une fois sortis des Kasaï, les villages croisés sont différents. Ils possèdent des petits jardins, on voit des champs et des cultures. Les animaux sont plus nombreux, et les maisons de briques remplacent parfois le torchis.

La ville est toute proche à présent, et l’après-midi est déjà bien entamée. Les bruits de klaxon, la musique joyeuse et les odeurs de poulet frit nous parviennent par la fenêtre. Alors que nous apprenons par la radio que la capitale est déjà en partie bloquée par les embouteillages dus aux contrôles de police qui précédent la manifestation, la voiture fait un écart et un bruit sourd claque sous nos pieds. Un pneu vient de crever.

Autour de nous, les voitures se pressent, les kinois râlent. Mentalement, je retiens cette image associée à ces trois mots : imprévisibilité, instabilité, ténacité.

 

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Coline-Aymard

Coline aymard
Chargée de Communication

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