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Survivre à la période de soudure
Comment les interruptions de l’activité agricole alimentent la faim et la sous-nutrition ?
Qu’est-ce que la période de soudure ?
Les réserves de la récolte de l’année dernière sont quasiment épuisées. Les stands du marché sont presque vides, et le peu de produits qu’il reste sont chers. Pour survivre, les familles sont obligées de faire des choix impossibles : sauter des repas, vendre des biens précieux ou s’endetter. C’est la dure réalité de la « période de soudure », parfois appelée la « saison de la faim » à juste titre.
La période de soudure se situe entre la plantation et la récolte. C’est le moment de l’année où la nourriture est le plus limitée. Il s’agit du point le plus éloigné de la récolte de l’année précédente, mais où les cultures actuelles ont encore besoin de temps pour pousser avant la prochaine récolte. En général, elle a lieu entre mai et septembre et atteint son pic vers juin, mais cela peut varier selon la région. La durée et la gravité de la période de soudure dépendent des conditions météorologiques, des conflits, de l’inflation et d’autres facteurs qui influencent les cycles agricoles et la disponibilité des produits alimentaires.
Cette interruption de l’activité agricole, qui peut s’avérer mortelle, affecte gravement la santé des enfants chaque année. Et le changement climatique aggrave la situation. Mais il existe des mesures pratiques et préventives que nous pouvons prendre pour garantir que tout le monde est bien nourri, quelle que soit la saison.
Le bilan humain : l’impact de la période de soudure sur les familles
Lorsqu’elles n’ont rien à manger, les familles sont contraintes de prendre des mesures désespérées pour survivre. Elles ont recours à la consommation d’aliments dangereux, souvent contaminés par des champignons ou des parasites, car c’est tout ce qui est disponible. Les parents doivent parfois renoncer à la nourriture pour que leurs enfants puissent manger, mettant ainsi leur propre santé en danger. En 2024, environ 4,3 millions de personnes étaient susceptibles de souffrir gravement de la faim pendant la période de soudure et faisaient face à un scénario catastrophe comme celui-ci.
Chez les enfants, la sous-nutrition augmente pendant la période de soudure. L’OCHA a estimé que 2,6 millions d’enfants souffriraient de malnutrition aiguë pendant la période de soudure de 2025 au Nigeria. La sous-nutrition est un problème très grave, en particulier chez les enfants et au cours des 1 000 premiers jours de leur vie (de la conception à l’âge de deux ans), lorsque leur développement physique et cognitif est le plus malléable. Et même s’ils reçoivent un traitement, les enfants peuvent souffrir de complications liées à la sous-nutrition tout au long de leur vie.
Pour survivre à une période de soudure, les familles doivent souvent faire des sacrifices qui compromettent leur capacité à éviter la suivante. Parfois, elles vendent du bétail ou d’autres biens générateurs de revenus pour pouvoir avoir assez d’argent pour manger. Les parents recherchent des emplois supplémentaires, et il arrive que les enfants abandonnent l’école pour travailler ou aider leur famille. Sans éducation, les enfants ont moins de chances de sortir de la pauvreté à l’avenir, et un cycle de pauvreté, de faim et de manque d’éducation se perpétue.

Le changement climatique, un facteur qui aggrave la période de soudure
Le changement climatique perturbe les cycles agricoles traditionnels, rendant les périodes de soudure encore plus longues et difficiles. Cela a altéré le calendrier des évènements qui guident la plantation et la récolte, tels que la floraison et l’apparition d’insectes, qui ont tous deux un impact sur la qualité des aliments et le rendement des cultures, selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Ces changements peuvent prolonger les périodes de pénurie alimentaire et rendre imprévisible ce qui était autrefois une interruption temporaire et attendue. En Afrique du Sud, par exemple, l’OCHA a averti que les changements de schémas d’El Niño, associés à la pire sécheresse des 100 dernières années, risquaient de faire avancer le début de la période de soudure de jusqu’à trois mois, ce qui mettrait en danger de nombreuses familles.
La Banque mondiale avertit qu’« environ 80 % de la population mondiale la plus menacée par les mauvaises récoltes et la faim dues au changement climatique vit en Afrique subsaharienne, en Asie du Sud et en Asie du Sud-Est, là où les familles d’agriculteurs sont particulièrement pauvres et vulnérables. » Bien qu’elles soient les moins responsables du changement climatique, les familles d’agriculteurs vulnérables sont celles qui souffrent le plus des conséquences des interruptions prolongées de l’activité agricole. Et pour aggraver la situation encore davantage, les sécheresses, les ouragans, les inondations, les incendies de forêt et d’autres phénomènes météorologiques extrêmes augmentent en fréquence et en intensité en raison du changement climatique. Un évènement météorologique extrême peut détruire toutes les cultures et nuire à la fertilité des sols pour plusieurs années. Les familles les plus pauvres, qui ne disposent que de ressources financières très limitées pour se reconstruire après les chocs climatiques, se retrouvent immédiatement exposées lorsque la période de soudure commence.

La réponse d’Action contre la Faim
Intervention d’urgence
Action contre la Faim est là pour fournir une aide vitale lorsque la faim fait rage. Les enfants souffrant de malnutrition aiguë sévère reçoivent une alimentation thérapeutique essentielle de la part de notre personnel spécialisé, et plus de 90 % d’entre eux guérissent et recouvrent une santé nutritionnelle totale. Nous distribuons de la nourriture aux familles souffrant de la faim. Nous effectuons également des transferts monétaires, qui permettent aux parents de faire les meilleurs choix financiers pour leur foyer en fonction de leurs besoins, qu’il s’agisse de nourriture, d’eau, de médicaments ou d’autres articles essentiels. Quels que soient les besoins les plus urgents de chaque famille pour surmonter la période de soudure, Action contre la Faim trouve une façon de les soutenir.
Prévention
Le sixième rapport d’évaluation du GIEC a conclu que le changement climatique exercera une pression croissante sur les systèmes de production alimentaire, ce qui compromet la sécurité alimentaire. Pour les familles déjà touchées par plusieurs mois de période de soudure, la menace est inimaginable. Pour aider les communautés à risque à s’adapter, Action contre la Faim fait la promotion d’une agriculture intelligente face au climat afin d’augmenter le rendement des cultures malgré des conditions difficiles. Les programmes de formation d’agriculteurs donnent la priorité à des principes agroécologiques axés sur des méthodes agricoles durables et respectueuses de l’environnement qui améliorent la santé des sols et renforcent la résilience à long terme. L’agriculture intelligente face au climat renforce la sécurité alimentaire et augmente les revenus, de sorte que les familles disposent de davantage de ressources pour surmonter l’interruption de l’activité agricole.
Alors que les catastrophes climatiques deviennent de plus en plus fréquentes, les systèmes d’alerte précoce jouent un rôle vital dans la lutte contre la faim en période de soudure. Ces systèmes comprennent des prévisions climatiques, un suivi du prix des denrées alimentaires, des données nutritionnelles, les mouvements de population et les tendances du marché, afin de prévoir où et quand l’insécurité alimentaire peut augmenter, souvent des mois à l’avance. Action contre la Faim développe des systèmes d’alerte précoce et travaille en collaboration avec ses partenaires afin de déterminer quand et où concentrer ses ressources de façon à avoir le plus d’impact possible pendant la période de soudure, ce qui nous permet de sauver des vies et de préserver les moyens d’existence.
Une intervention équitable
Les femmes souffrent davantage de la faim que les hommes, en grande partie en raison d’obstacles sociaux et culturels, et la sous-nutrition n’est pas la seule menace. Une étude de 2022 a révélé que l’insécurité alimentaire était associée à plus de deux fois plus de risques de subir ou de commettre des violences à l’égard des femmes et des filles. Action contre la Faim offre des services de protection et un soutien en santé mentale aux victimes de violence sexiste, en plus de mener à bien une intervention équitable face aux défis de la période de soudure. Nos programmes de moyens d’existence se concentrent sur les femmes, en les équipant de compétences telles que l’éducation financière et l’agriculture intelligente face au climat pour les aider à vivre une vie sûre et digne.
Même si les femmes sont particulièrement exposées pendant la période de soudure, elles sont aussi les plus grandes actrices du changement. En effet, environ 90 % du temps, les femmes sont responsables de l’achat de nourriture et de la préparation des repas pour leur famille, et en période de pénurie alimentaire, les choix alimentaires sont extrêmement importants. Action contre la Faim explique aux femmes comment faire les meilleurs choix en matière de nutrition dans des conditions sous-optimales. Dans les groupes de soutien entre femmes, Action contre la Faim fait la promotion de la santé, de la nutrition, de l’hygiène, de l’assainissement et des pratiques de soins pour les mères, les nourrissons et les jeunes enfants. Les pratiques d’assainissement et d’hygiène sont essentielles pour lutter contre la sous-nutrition pendant la période de soudure, lorsque les maladies provoquant la faim comme le choléra et le paludisme augmentent.
Étude de cas : Zambie
En 2024, la Zambie était confrontée à la pire sécheresse des quarante dernières années en raison des changements de schémas d’El Niño. L’échec total des récoltes et la mort du bétail ont compromis les moyens d’existence de plus de 6,5 millions de personnes. Les sources d’eau ont séché, et les femmes ont dû entreprendre de longs et dangereux voyages pour aller s’en procurer ailleurs. La période de soudure a commencé tôt et avec une force brutale. Avec plus de 2 millions de personnes confrontées à des niveaux de faim critiques (phase 3 ou plus de l’IPC), l’état d’urgence national a été déclaré.
Action contre la Faim est intervenue rapidement. Nous avons étendu nos opérations à neuf districts des régions les plus touchées, en adoptant une approche multisectorielle tenant compte de la nutrition et de la santé, de la sécurité alimentaire, de l’EAH et de la résilience au changement climatique. Nous avons travaillé en étroite collaboration avec le ministère de la Santé et d’autres parties prenantes sur des initiatives EAH (eau, assainissement et hygiène) afin de freiner la propagation du choléra, qui était provoqué par l’accès limité à l’eau potable. Une aide alimentaire vitale a été fournie aux familles confrontées au double fardeau du choléra et de l’insécurité alimentaire, contribuant ainsi à la gestion des maladies et à la prévention de la sous-nutrition. Pour générer un impact à long terme, un programme d’agriculture résiliente au changement climatique a été déployé. Le projet Seeds of Hope a formé 1 285 agriculteurs à des techniques agroécologiques de culture du niébé, un haricot résistant à la sécheresse. Les ventes de cette culture ont généré 650 000 ZMW, et les pertes post-récolte ont été réduites à près de zéro. Armés d’outils et de connaissances en matière d’agriculture intelligente face au climat, ces agriculteurs sont désormais équipés pour développer un système alimentaire plus robuste pour la prochaine période de soudure en Zambie.
Nous ne pouvons pas briser les cycles saisonniers, mais nous pouvons briser le cycle de la faim et renforcer la résilience des communautés face à l’insécurité alimentaire saisonnière. La faim pendant la période de soudure est évitable. Grâce à une combinaison d’interventions d’urgence et de projets de renforcement de la résilience à long terme, nous pouvons construire un avenir dans lequel tout le monde sera bien nourri, même pendant les interruptions de l’activité agricole.