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À la Une

Intervention de Benoît Miribel, Président ACF-F BRUSSELS, 21-22 October 2010.

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Si la fin de la guerre froide a permis aux ONG humanitaires d’étendre leur champ géographique d’intervention, et en conséquence de démultiplier fortement leurs moyens d’interventions durant les années 90, on constate ces dernières années un rétrécissement de l’espace humanitaire. D’une certaine façon, nous sommes en présence d’un paradoxe car les personnels humanitaires sont devenus de plus en plus professionnels avec des moyens d’intervention plus adaptés, mais leur accès libre aux populations vulnérables est de plus en plus entravé.

Pourquoi l’accès libre aux populations vulnérables s’est-il réduit ces dernières années et comment faire pour le défendre ? Telles sont les deux questions auxquelles je vais tenter de répondre.

 

 

 

1-      Pourquoi l’espace humanitaire s’est-il réduit ?

 

 

 

D’une façon générale, on distingue deux principaux types d’entraves à l’intervention d’organisations humanitaires : la violence et la pression gouvernementale.

 

 

 

1.1.  Violence et insécurité contre les acteurs humanitaires

 

 

 

L’image qui est placée aujourd’hui place Schuman montre un humanitaire avec le slogan « Don’t shoot me ! ». Cette image est forte car elle n’appelle pas au « respect » des acteurs humanitaires sans doute parce que cela est déjà dépassé… A défaut de pouvoir les faire respecter, on demande au moins de ne plus les tuer !

 

 

 

Toutes les diverses formes de violences qui ciblent les acteurs humanitaires (enlèvements, viols, assassinats… ) ont tendance à s’accentuer dans de nombreux pays en crises. Depuis le milieu des années 90, les personnels des organisations humanitaires ont appris à mieux se préparer aux contextes d’insécurité. Des formations spécifiques se sont développées et la réflexion sur l’image que renvoient les organisations humanitaires auprès des populations locales, a été débattue dans de nombreuses conférences internationales. Nous sommes tous en faveur du principe d’acceptation et nous redoutons tous de nous trouver embarqués dans des armées internationales placées sous l’égide de l’ONU.

 

 

 

Il est vrai que durant les années 90, les interventions humanitaires n’ont pas été les seules à se développer à travers le monde ; les interventions militaires internationales ont connu également une forte expansion. Alors que durant la guerre froide, il n’y avait pratiquement pas eu d’interventions internationales sous l’égide de l’ONU, les opérations de maintien de la paix se sont multipliées sur tous les continents à partir de 1990 (Liberia, Bosnie, Somalie, Rwanda, etc…).

 

 

 

Si la proximité des acteurs humanitaires et militaires n’a pas de véritables enjeux dans les contextes de catastrophes naturelles, il en est tout autre dans les conflits armés où la confusion est devenue trop forte notamment dans le cadre des missions intégrées. En effet, pourquoi entretenir par des « missions intégrées », l’ambivalence des Nations Unies, qui se retrouvent à la fois acteur humanitaire et acteur militaire ? Cette confusion porte préjudice aux organisations humanitaires non gouvernementales qui se retrouvent trop souvent amalgamées avec les forces militaires d’intervention. D’autre part, les sociétés de sécurité privées (SSP) ajoutent une nouvelle confusion dans la mesure où ce sont des civils qui portent des armes et qui peuvent être semblables, par leur tenue vestimentaire, à des personnels d’organisations humanitaires.

 

 

 

Au fil des années, les organisations humanitaires ont développé des mises en œuvre de leurs programmes par délégation à des travailleurs nationaux, d’une part pour renforcer la capacité d’appropriation locale, mais aussi pour limiter l’exposition des expatriés aux situations d’insécurité. Dans les zones très instables et critiques d’un point de vue sécurité, les ONG ont appris à fonctionner en « remote » au risque de fragiliser dans certains cas, le principe d’accès direct aux bénéficiaires (Tchétchénie, Somalie, Sri-Lanka, Pakistan, Afghanistan, Yémen etc..).

 

 

 

Selon les pays d’intervention, les autorités locales peuvent être plus ou moins en faveur d’actions humanitaires conduites par des organisations internationales, dont les personnels nationaux peuvent subir en conséquence de fortes pressions.

 

 

 

 

 

1.2. La pression des gouvernements des pays affectés

 

 

 

Dans un certain nombre de pays en crise, les organisations humanitaires internationales ne sont pas les bienvenues, notamment parce qu’au delà des programmes mis en œuvre en faveur des populations vulnérables, les personnels humanitaires sont souvent des témoins de violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire.

 

 

 

Les accès à certaines régions sont parfois interdits et des menaces sont régulières sur les équipes d’ONG humanitaires. Au Soudan, l’expulsion des 13 ONG internationales en 2008 est une réponse politique du président Béchir à l’accusation de la CPI à son encontre.

 

 

 

Au Sri-Lanka en 2006, ACF a vu 17 de ses travailleurs humanitaires massacrés à Muttur, sans doute parce qu’ils avaient été témoins de scènes qu’ils n’auraient pas dû voir. Ils étaient ce jour là, parmi près de 200 civils qui ont été tués et dont on brulait les corps afin de ne pas laisser de trace, de façon à les faire porter disparus en terme de statistiques. Muttur montre qu’il n’y a pas de respect des travailleurs humanitaires, que les populations civiles sont les premières victimes des conflits et qu’il n’y a pas encore de véritable justice internationale.

 

 

 

En Somalie, ce sont les Shebbabs qui imposent maintenant de fortes taxes aux ONG internationales si elles veulent porter secours à des populations. Non seulement l’accès libre et directe est bafoué, mais l’accès devient payant et encore seulement pour certaines zones, et dans certaines conditions.

 

 

 

Nous le voyons, face à la pression de certains gouvernements et factions locales, face à la confusion grandissante entre acteurs militaires et humanitaires, la pression et la violence pèsent lourdement sur la capacité des organisations humanitaires à porter librement secours aux plus vulnérables.

 

 

 

Est-il envisageable d’imaginer un système international capable d’assurer un accès libre pour que l’espace humanitaire soit une réalité sans frontières ?

 

 

 

 

 

 

 

2-      Comment défendre l’espace humanitaire ?

 

 

 

2.1. Organiser un plaidoyer international pour la défense des principes humanitaires et de l’espace humanitaire.

 

 

 

Défendre l’espace humanitaire est une responsabilité des Etats, mais force est de constater que de ce point de vue là, les enjeux sont trop importants pour être laissés uniquement aux gouvernements ! Le Consensus Humanitaire Européen est une vraie avancée, et on le doit, en partie, aux ONG du réseau VOICE qui ont participer proactivement. Ce texte doit maintenant devenir une référence dans chaque Etat membre. Or, nous avons constaté, avec Alain Boinet de Solidarités International, dans le cadre d’un rapport que nous avons réalisé pour le ministre Bernard Kouchner, qu’en France, très peu de parlementaires connaissent le Consensus et ses enjeux.

 

 

 

Nous ne devons pas que subir les réductions de l’espace humanitaire, nous devons les combattre en étant mieux organisés entre organisations humanitaires internationales qui partagent les mêmes principes humanitaires d’intervention. Qui est mieux placé que nous pour défendre l’espace humanitaire ? Que faisons-nous véritablement pour unir nos moyens dans la défense de cet espace incertain ?

 

 

 

Il faudrait pouvoir réaliser une sorte de plaidoyer international pour la défense des principes humanitaires et de l’espace humanitaire. Cela nécessite que les ONG qui partagent les mêmes principes humanitaires puissent de regrouper ensemble afin de peser de leur poids sur les Etats et la communauté internationale.

 

 

 

Tous les parlementaires nationaux et européens doivent savoir qu’il existe un Consensus Humanitaire Européen. Cela passe par une implication des ONG humanitaires de chaque Etat membre. Il est vrai que cela prendra du temps, mais nul autre que nous ne le fera et cela devient indispensable aujourd’hui. Les militaires dépendent des politiques et les politiques dépendent des électeurs. Nous devons aussi associer davantage la société civile de nos pays à nos actions humanitaires, au delà des appels aux dons. Nous devons expliquer à nos concitoyens les principes humanitaires et la nécessité de défendre un espace humanitaire.

 

 

 

Nous n’existons pas aujourd’hui sans la motivation et les compétences de tous ceux et de toutes celles qui s’impliquent sur le terrain de nos missions. Mais, nous risquons de ne plus exister demain si nous n’avons pas la capacité à associer davantage la société civile européenne aux combats que nous menons pour la défense de l’espace humanitaire.

 

 

 

 

 

2.2. Renforcer l’identité des organisations humanitaires non gouvernementales

 

 

 

Il est vrai que le domaine des ONG humanitaires est très hétérogène et donne souvent lieu à des caricatures. On ne sait pas toujours quelle est notre valeur ajoutée et nous avons déjà tous entendu des personnes dire que les ONG humanitaires étaient devenues des « business » parmi d’autres. Personne ne contrôle vraiment le terme « ONG humanitaires » et nous pouvons retrouver parfois dans cette « jungle », des sectes sous un sticker de type ONG humanitaire, ou encore des « organisations  lucratives sans but » pour caricaturer une expression connue.

 

 

 

Il est de notre responsabilité de fédérer les ONG humanitaires qui respectent et appliquent les principes humanitaires. Par l’affirmation de cette identité commune autour des principes humanitaires, nous clarifierons davantage le rôle des ONG humanitaires par rapport aux rôles des autres intervenants que l’on voit sur les terrains en crise.

 

 

 

Combien d’organisations sont capables de mettre en œuvre des programmes dans des contextes de crise, avec et pour des populations civiles, à partir de besoins identifiés et mesurés ? Nous ne sommes pas face à des « clients » à qui nous apportons un « service » mais aux côtés de personnes dont la dignité est bafouée et qui se retrouvent dépendantes d’une assistance pour subsister dans des contextes incertains.

 

 

 

Notre finalité est bien d’œuvrer pour que de moins en moins de personnes soient dépendantes d’une assistance humanitaire. Mais dans l’immédiat, les besoins restent considérables et il est utopique de penser que les gouvernements s’en chargent puisque par nature, nous intervenons parce qu’ils ne veulent pas ou ne peuvent pas soulager les besoins de nombreuses personnes vulnérables.

 

 

 

Face à l’ambivalence des Nations-Unies qui sont à la fois pourvoyeur d’actions humanitaires à travers certaines de leurs agences (WFP, UNICEF, HCR, OCHA etc…) et également pourvoyeur d’actions militaires et de polices, les ONG qui adhérent aux principes humanitaires restent seules, avec le CICR, en mesure de défendre véritablement l’espace humanitaire.

 

 

 

 

 

 

 

Conclusion

 

 

 

Madame la Commissaire, vous savez que depuis bientôt 20 ans, les ONG humanitaires et ECHO ont développé un partenariat basé sur le respect mutuel des capacités de chacun. Ce partenariat a permis à un grand nombre d’ONG de se structurer, de devenir plus efficaces et il vous a permis également de faire de l’UE, le premier acteur humanitaire mondial en terme de moyens mobilisés.

 

 

 

Nous tenons à l’indépendance d’ECHO, hors considérations d’ordre politique et de sécurité de l’UE et vous, vous tenez à la libre capacité d’intervention des ONG humanitaires européennes qui ont fait leurs preuves. Nous devons maintenant, ensemble, nous battre pour défendre les principes humanitaires auprès des Etats membres, et au delà. Ceci afin de pouvoir notamment :

 

    • Promouvoir le respect du Consensus Humanitaire Européen en Europe et à l’international

 

    • Ne pas mélanger les programmes humanitaires avec des activités d’un autre ordre (sécurité, justice, police, administration civile, etc.)

 

    • Promouvoir une identité commune des ONG qui respectent les principes humanitaires.

 

 

 

Les principes humanitaires trouvent leur application réelle dans un espace humanitaire et il n’y a pas d’espace humanitaire si les principes humanitaires ne sont pas mis en œuvre.

 

 

 

 

 

Je vous remercie.

 

 

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