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Après les violences, la situation se complexifie à Rhoo
Fin novembre 2021, en République Démocratique du Congo, dans la région de l’Ituri, une recrudescence des violences a entraîné le déplacement quasi-total des habitants du village de Drodro et des alentours. Action contre la Faim a DÛ Y SUSPENDRE SES ACTIVITÉS ET ÉVACUER SES ÉQUIPES. Audrey Rivière, coordinatrice terrain d’Action contre la Faim en Ituri, revient sur ces évènements et la réponse apportée par nos équipes.
Courant octobre 2021, après plusieurs mois de calme relatif, la situation se complexifie de nouveau dans le territoire de Djugu. Fin novembre, le niveau de violence atteint son paroxysme. Trois sites de déplacés sont attaqués à quelques jours d’intervalle, une centaine de personnes sont tuées dans tout le territoire. Des groupes armés sèment à nouveau la terreur et les différentes communautés sont obligées de fuir. Alors que certains rejoignent massivement le seul site encore sécurisé, le site de Rhoo, d’autres populations se déplacent dans des localités qui leur semblent plus sûres et deviennent hors d’accès de l’aide humanitaire.
Sur le site de Rhoo, la situation devient alors particulièrement complexe. 63 500 personnes s’entassent dans un espace qui en accueillait précédemment 21 000. Situé en haut d’une colline d’une vingtaine d’hectares seulement, la zone est enclavée. Les mouvements des groupes armés autour, et les attaques ou tentative d’attaques récurrentes sur le site ou dans les villages alentours, rendent la situation critique.
A Rhoo, les conditions de vie sont précaires. Le site est poussiéreux et venteux.
« Les températures avoisinent les 10°C la nuit. Les personnes déplacées n’ont bien souvent pas les vêtements nécessaires pour affronter ces températures, particulièrement les enfants. Plusieurs dizaines de familles dorment dehors, n’ayant pu trouver une place où s’abriter. Les autres huttes de fortune sont surchargées. » affirme Audrey Rivière, coordinatrice terrain.
Les populations manquent d’à peu près tout. Elles s’organisent tant bien que mal, les anciens déplacés partageant le peu qu’ils ont avec les nouveaux.
Audrey Rivière
Coordinatrice terrain, République Démocratique du Congo
Toute la journée, des files entières de jeunes et moins jeunes s’aventurent dans la brousse et les forêts alentours à la recherche de branchages et bambous pour construire de petits abris sur un site qui n’arrive plus à absorber la masse des nouveaux arrivants. D’autres font plusieurs kilomètres pour rejoindre leurs champs à leurs risques et périls pour ramener de quoi nourrir les autres.
« L’eau est un casse-tête. A peine 4 litres d’eau potable sont disponibles par personne et par jour pour boire, cuisiner, se laver, faire la lessive… La plupart puise directement dans la rivière qui passe en contrebas et ce n’est pas sans risque. Il y a quelques semaines, un jeune homme à la recherche d’eau n’est jamais revenu, il a été abattu par des hommes en armes. » observe Audrey Rivière.
Le site de Rhoo bénéficiait déjà d’un soutien des organisations humanitaires avant les arrivées de décembre mais les latrines précédemment construites par des ONGs dont Action contre la Faim ne peuvent pas faire face au triplement du nombre de personnes. Elles sont presque pleines et les douches sont inutilisables.
Dans ce chaos, la réponse humanitaire s’est organisée et se met en place tant bien que mal. La route depuis Bunia, la capitale provinciale, est longtemps restée impraticable, limitant l’accès aux matériaux et aux équipements, seul quelques camions commerciaux réussissant encore à passer. La seconde et dernière voix d’accès est, elle, complètement impraticable. Là-bas le risque d’embuscade est trop élevé et peu de véhicules s’y risquent.
LA RéPONSE D’ACTION CONTRE LA FAIM sur place
Action contre la Faim est revenue deux semaines après ce déplacement massif afin d’apporter une assistance en eau, hygiène et assainissement en coordination avec d’autres partenaires. L’accès à l’eau potable est en train d’être renforcée, des latrines d’urgence construites et un système de gestion des déchets mis en place. Nous aménageons un système de distribution permettant de fournir 50 000 litres d’eau potable par jour via 5 points de distribution pour servir 14 400 personnes. En parallèle, 204 latrines sont en cours de construction dont des toilettes pour les enfants et les personnes à mobilité réduite.
D’autres acteurs s’occupent de l’assainissement, des douches et complètent l’accès à l’eau. Déjà les familles déplacées ont pu recevoir des vivres grâce au Programme Alimentaire Mondial et ses partenaires, ainsi que des kits d’objets essentiels au quotidien pour cuisiner, se laver, se protéger des intempéries.
Le centre de santé de MSF –Suisse, installé bien avant cette crise, est heureusement resté actif, offrant aux communautés un accès aux soins de santé ainsi qu’une prise en charge nutritionnelle pour les enfants malnutris. Nos équipes complètent les services de santé actuels en offrant un espace de prise en charge et d’écoute aux mamans ayant des problèmes d’allaitement ou venant d’accoucher. Enfin, des activités de soutien en santé mentale sont proposées aux femmes enceintes et aux parents ayant des enfants de moins de 1 an. Les personnes ont vécu des situations traumatisantes et il est impossible d’aider tout le monde tant les besoins sont colossaux.
En attendant, la nuit tombe sur Rhoo et seules les sirènes des patrouilles de la MONUSCO, la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en république démocratique du Congo qui est basée sur le camp, brisent le silence. Les humanitaires se regroupent dans la base temporaire d’Action contre la Faim construite à la hâte au milieu du site, où trône deux grandes tentes données par UNICEF.
Epuisée, Audrey Rivière nous confie « Demain il faudra continuer, sans jours de repos, et avec des moyens limités, en espérant que les hommes, femmes et enfants congolais venus se réfugier à Rhoo pourront prochainement rentrer chez eux et retrouver la paix et la dignité. »