Communiqué de presse

La crise alimentaire qui s’aggrave au Yémen : près de la moitié de la population lutte pour trouver suffisamment de nourriture
Des données récentes révèlent que le Yémen connaît désormais la troisième plus grave crise alimentaire au monde¹, avec la moitié de sa population confrontée à la faim, et près de la moitié des enfants de moins de cinq ans souffrant de malnutrition chronique².
À l’occasion de la Journée mondiale de l’alimentation, les organisations internationales et nationales présentes au Yémen lancent un appel urgent à l’action pour faire face à l’escalade de la crise alimentaire dans le pays.
Le Yémen est confronté à une urgence humanitaire alarmante, avec un nombre croissant de personnes privées de nourriture et une famille sur trois souffrant d’une faim modérée à sévère. Plus de 100 districts font désormais face à une urgence nutritionnelle critique, marquant une hausse sans précédent des niveaux de malnutrition dans tout le pays3. Dans le district d’Abs, à Hajjah, des enfants sont morts de faim alors que les taux de malnutrition explosaient. Dans les gouvernorats d’Al Hodeïda et de Taïz, une augmentation de 15 à 30 % des cas de malnutrition aiguë est attendue d’ici la fin de l’année4.
La situation se détériore rapidement. D’ici début 2026, plus de 18 millions de personnes à travers le Yémen devraient faire face à des niveaux de faim critiques, dont environ 41 000 risqueront la famine5.
Partout dans le pays, les familles sont confrontées à des choix impossibles — des parents sautent des repas pour nourrir leurs enfants, vendent leurs terres, leurs animaux ou leurs rares biens juste pour survivre. Une mère d’Al Dhale’ confie : « Il y a des jours où j’envoie ma fille chez son grand-père pour qu’elle puisse manger, tandis que moi je reste sans rien. D’autres jours, on ne mange que du pain et on boit du thé. En tant que mère, cela me brise le cœur. »
Les impacts de la crise sont intergénérationnels. Les enfants sont parmi les plus durement touchés : non seulement leur santé est en danger, la faim compromettant leur développement physique et cognitif sur le long terme, mais leurs espoirs d’avenir s’évanouissent. Faute de ressources, beaucoup sont retirés de l’école, envoyés travailler ou mariés précocement, les exposant à encore plus de risques.
Facteurs aggravants
Le conflit, l’effondrement économique, les chocs climatiques et la pénurie d’eau poussent le Yémen vers une famine généralisée. Des années de guerre et de déplacements ont anéanti les moyens de subsistance, limitant l’accès aux soins de santé et services nutritionnels de base. Comme souvent, les femmes et les filles sont les plus touchées. Les efforts de redressement sont aujourd’hui freinés par la hausse des prix des denrées, la dépréciation de la monnaie, et la fragmentation économique, qui plongent des millions de personnes encore plus profondément dans la crise. Les inondations d’août 2025 sont un exemple frappant de la manière dont le changement climatique réduit la disponibilité alimentaire, détruit les terres agricoles, le bétail et d’autres sources essentielles de subsistance.
Même si la situation est difficile dans tout le Yémen, elle l’est d’autant plus dans les gouvernorats du nord, où la détention continue de travailleurs humanitaires entrave davantage les opérations humanitaires vitales. Les restrictions de déplacement imposées aux femmes travailleuses humanitaires yéménites, qui ne peuvent voyager sans tuteur masculin, empêchent la livraison de l’aide et limitent l’accès des femmes et des filles vulnérables aux services humanitaires.
Les réductions sans précédent d’aide mondiale en 2025 ont aggravé la faim et la malnutrition infantile à des niveaux mortels6. Ces coupes budgétaires ont conduit à la fermeture de plus de 2 800 services de traitement essentiels, soit près de la moitié de tous les programmes nutritionnels vitaux7. Presque toutes les chaînes d’approvisionnement pour les enfants malnutris, les femmes enceintes et allaitantes sont gravement sous tension. Malgré l’augmentation des besoins, les interventions alimentaires et nutritionnelles au Yémen sont au plus bas depuis dix ans, avec à peine 10 % des besoins de financement couverts.8

Des solutions efficaces existent
Au cours de la dernière décennie, les organisations internationales et locales ont empêché la famine de s’installer et sauvé d’innombrables vies. Grâce aux donateurs, elles ont restauré des systèmes d’irrigation, fourni des aides en espèces et des formations professionnelles pour aider les familles à reconstruire leurs moyens de subsistance. Ces efforts ont permis de nourrir les enfants, d’aider les parents à gagner leur vie et de relancer l’agriculture à petite échelle. Mais sans investissement durable, la situation basculera. De plus en plus de districts risquent de sombrer dans des niveaux catastrophiques de malnutrition9 si un financement d’urgence et des fournitures ne sont pas mobilisés immédiatement.
Appel aux donateurs
À l’occasion de la Journée mondiale de l’alimentation, la communauté internationale doit renforcer son soutien aux solutions éprouvées afin de lutter contre la crise alimentaire au Yémen, protéger les enfants et les familles et prévenir l’aggravation de la souffrance humaine. Il est tout aussi important de s’attaquer aux causes profondes de l’insécurité alimentaire au Yémen : mettre fin au conflit, ce qui nécessite des progrès significatifs dans le processus de paix et des efforts de redressement solides, notamment la stabilisation de l’économie et des investissements dans une agriculture et des moyens de subsistance résilients au changement climatique. Ce n’est que grâce à un effort combiné, associant une aide d’urgence vitale à des solutions politiques et économiques à long terme, que les Yéménites pourront reconstruire leur vie.
Nous appelons :
- Les donateurs et partenaires internationaux à financer immédiatement les besoins alimentaires et de subsistance identifiés dans le plan de réponse hautement prioritaire du Cluster Sécurité alimentaire et Agriculture10, en se concentrant sur les districts critiques et la restauration des chaînes d’approvisionnement vitales. Ce soutien permettra de fournir des services nutritionnels vitaux, notamment le maintien des centres d’alimentation thérapeutique et l’accès aux fournitures médicales essentielles.
- Les donateurs et les partenaires internationaux à accroître les investissements dans les organisations nationales, dans le cadre de l’agenda de localisation de l’aide.
- Les donateurs et les partenaires internationaux doivent plaider conjointement en faveur d’un accès humanitaire fondé sur des principes dans tout le Yémen, afin de faciliter la fourniture en temps opportun d’une aide alimentaire, nutritionnelle et financière ciblée et complémentaire.
- Les donateurs et les partenaires internationaux doivent veiller de toute urgence à ce que les programmes humanitaires mis en œuvre à travers le Yémen intègrent des mesures visant à protéger les communautés vulnérables, en particulier les femmes et les enfants, en répondant aux risques croissants auxquels ils sont confrontés en raison de l’aggravation de la crise alimentaire, notamment le travail forcé des enfants, les mariages précoces et le décrochage scolaire.
- Les bailleurs de fonds du développement doivent investir dans des stratégies solides de gestion des risques de catastrophe. Des infrastructures résilientes et des initiatives de préparation des communautés, y compris des transferts sociaux, sont essentielles pour minimiser les risques liés au changement climatique et protéger les populations les plus vulnérables.
- Les parties au conflit doivent faciliter l’accès humanitaire sans entrave et fondé sur des principes afin de garantir la fourniture en temps opportun d’une aide vitale et le rétablissement de leurs communautés après avoir souffert de famine et de malnutrition sévères. Tous les travailleurs humanitaires détenus arbitrairement doivent être libérés, et la sécurité et la continuité des opérations humanitaires doivent être assurées.
- Les parties au conflit, avec le soutien de la communauté internationale, doivent prendre des mesures en faveur de la paix, notamment des mesures d’aide économique telles que la reprise du paiement des salaires dans le secteur public, la reprise des opérations bancaires et la lutte contre la dépréciation monétaire, afin de réduire les facteurs de famine et de permettre aux familles de subvenir à leurs besoins alimentaires et fondamentaux.
Signataires :
Action contre la Faim (ACF), Action for Humanity, Aden Foundation for Arts and Sciences (ADEN-FAS), Al-Ahlam Foundation for Developmental Medicine, All Girls Foundation For Development (AGF), CARE, Child and Youth Protection Foundation (CYPF), Center For Civilians In Conflict (CIVIC), Danish Refugee Council (DRC), Deem for Development Organization, Direct Aid (DA), Dorcas, FARHM Network for Peace and Development, Field Medical Foundation (FMF), Generations Without Qat (GWQ), Geneva Call, Human Access for Partnership and Development, International Medical Corps, International Rescue Committee (IRC), INTERSOS, Joud Al Ata Foundation for Humanity Development (JAFHD), Médecins du Monde (MdM), Norwegian People’s Aid (NPA), OXFAM, Relief & Development Peer Foundation (RDP), Relief International (RI), Save the Children, Secours Islamique France (SIF), Society for Humanitarian Solidarity (SHS), SOUL for Development (SOUL), War Child Alliance.
Notes aux rédacteurs :
- Les données issues des évaluations menées à Taïz, Al Dhae’e, Abyan et Al Hodiedah en août 2025 révèlent que la moitié des ménages ayant des enfants de moins de cinq ans comptaient au moins un enfant souffrant de malnutrition au cours des trois derniers mois, tandis qu’un ménage sur quatre comptait au moins une femme enceinte ou allaitante souffrant de malnutrition au cours de la même période.
- Les enfants souffrant de malnutrition sont environ dix fois plus susceptibles de mourir de maladies courantes que les enfants bien nourris, ce qui les expose à un risque de retard de croissance – une forme de malnutrition chronique qui nuit au développement physique et cognitif normal – ainsi qu’à des retards de développement irréversibles, à des problèmes de santé tout au long de leur vie et à des perspectives d’avenir réduites. Sans traitement, leur corps entre en état de famine totale, décomposant les protéines – les tissus essentiels à la survie – jusqu’à ce qu’ils meurent lentement et douloureusement. La génération future du Yémen est en danger, et l’aide doit leur parvenir dès que possible.
1 https://www.unocha.org/publications/report/yemen/mr-tom-fletcher-under-secretary-general-humanitarian-affairs-and-emergency-relief-coordinator-briefing-security-council-humanitarian-situation-yemen-15-september-2025
2 Environ 18,1 millions de personnes souffrent de la faim et 49 % des enfants de moins de 5 ans souffrent de malnutrition chronique, Nutrition Cluster, octobre 2025.
3 Nutrition Cluster, Oct 2025.
4 Nutrition Cluster, Oct 2025.
5 Les niveaux d’insécurité alimentaire sont basés sur la Classification intégrée de la sécurité alimentaire (IPC), où la phase 3 indique des niveaux de crise en matière d’insécurité alimentaire et la phase 5 indique des conditions catastrophiques ou de famine. L’IPC prévoit des conditions de phase 5 (catastrophiques) dans quatre districts des gouvernorats d’Amran, d’Al Hodeidah et de Hajjah.
6 Les projections de l’IPC pour la période allant de septembre 2025 à février 2026 indiquent un nombre record de zones classées en phase 4 (urgence).
7 377 sites du Programme thérapeutique ambulatoire (OTP), 2 376 sites du Programme alimentaire supplémentaire ciblé (TSFP), 77 équipes mobiles et 21 centres alimentaires thérapeutiques (TFC) ont fermé leurs portes en raison d’un manque de fonds (Nutrition Cluster, octobre 2025)
8 Yemen Humanitarian Needs and Response Plan 2025. https://fts.unocha.org/plans/1262/global-clusters.
9 IPC Acute Malnutrition (AMN) Phase 5.
10 Plan d’intervention hautement prioritaire pour la sécurité alimentaire et l’agriculture au Yémen, Juillet- Dec 2025. https://fscluster.org/yemen/document/yemen-fsac-hyper-prioritized-response