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Une grand-mère réapprend l’allaitement grâce au soutien d’Action contre la Faim
Au centre de stabilisation de l’hôpital de Deynile, à Mogadiscio, des soignants accueillent chaque jour des nourrissons nécessitant une prise en charge urgente. Parmi eux, Maria Yonis, 41 ans, est arrivée avec son petit-fils de trois mois, Mohamed. Il était sévèrement dénutri, faible et luttait pour survivre.
En 2025, la Somalie est toujours confrontée à une crise nutritionnelle alarmante. Près de 1,8 million d’enfants souffrent de malnutrition aiguë, et 4,4 millions de personnes font face à l’insécurité alimentaire. Les sécheresses récurrentes, les conflits persistants et les déplacements massifs ont poussé de nombreuses familles au bord du gouffre. Selon la dernière analyse IPC (Classification intégrée de la sécurité alimentaire) en Somalie, la situation continue de se détériorer. Face à la baisse des financements et à l’augmentation des besoins humanitaires, l’urgence est plus grande que jamais.
Maria n’est pas la mère de Mohamed — elle est sa grand-mère. Lorsque sa fille, Barliin, est tombée gravement malade après l’accouchement, Maria a pris le relais, déterminée à sauver l’enfant.
Tout a commencé dans la ville rurale de Qoryooley, dans la région du Bas-Shabelle, où la famille de Maria vivait de manière modeste mais autonome. Ils cultivaient la terre, vendaient une partie de leur récolte au marché local. La vie était difficile, mais ils s’en sortaient.
Puis est arrivée la sécheresse de 2022.
La pluie n’est jamais tombée. La terre s’est fissurée. Les cultures ont fané. Dans le même temps, les conflits dans la région se sont intensifiés. Sans nourriture et sans sécurité, la famille de Maria a dû fuir. Ils se sont installés à Bil-Kheyr, un site de déplacement informel en périphérie de Mogadiscio.
Mais la vie en situation de déplacement a été encore plus dure. Le mari de Maria ne parvenait pas à trouver de travail. Son gendre gagnait à peine quelques shillings en ramassant des déchets. Pour nourrir les neuf personnes vivant sous son toit, Maria lavait des vêtements et transportait des marchandises au marché de Bakara.
Puis un événement inattendu a bouleversé leur quotidien.
Sa fille aînée, Barliin, âgée de seulement 18 ans, a accouché du petit Mohamed dans un hôpital de Mogadiscio. L’accouchement a été long et éprouvant. Maria est restée à ses côtés. Mais après la naissance, le comportement de Barliin a changé : elle ne reconnaissait plus son enfant, ne répondait plus à son entourage. Elle montrait des signes clairs de détresse psychologique sévère.
Ce que Barliin a vécu n’est malheureusement pas rare. De nombreuses femmes en Somalie souffrent de troubles mentaux post-partum : confusion, retrait, difficulté à créer un lien avec leur bébé. Le manque de services spécialisés et la stigmatisation font que très peu reçoivent l’aide nécessaire. C’est pourquoi un soutien psychosocial précoce est essentiel, à la fois pour la mère et pour l’enfant.
La famille a emmené Barliin dans plusieurs hôpitaux. Les médecins ont confirmé son état, mais les ressources disponibles étaient limitées. Ils se sont tournés vers la prière, espérant une amélioration.
Pendant ce temps, Mohamed avait besoin d’une aide immédiate.
Maria essayait de le nourrir au lait infantile, avec les quelques moyens qu’elle avait. Parfois, des voisins l’aidaient ; parfois, elle empruntait de l’argent. Mais Mohamed ne parvenait pas à s’alimenter correctement. Il s’est affaibli et a commencé à souffrir de diarrhées et de toux persistance. Il perdait rapidement du poids.
Maria a compris qu’elle devait agir vite.
Elle a enveloppé Mohamed dans un tissu et l’a emmené au centre de stabilisation de l’hôpital de Deynile, géré par Action contre la Faim avec le soutien de UKaid et du programme Better Life de l’UNICEF. Mohamed pesait à peine 2 kilos. Il souffrait d’une malnutrition aiguë sévère et ne s’alimentait plus correctement.
Le personnel médical a réagi immédiatement. Mohamed a été admis sans délai. Son score poids/taille était de –4, indiquant une malnutrition aiguë critique. Mais l’équipe est restée confiante.
Maria a été orientée vers le programme d’alimentation du nourrisson et du jeune enfant (ANJE). Là, elle a découvert quelque chose qu’elle n’aurait jamais imaginé : la relactation était possible. Elle pouvait allaiter à nouveau.
Dans de nombreuses communautés, on pense qu’une grand-mère ou une mère stressée ne peut pas allaiter. Peu savent qu’un redémarrage de la lactation est possible. Grâce au programme ANJE, les soignants sont formés aux bonnes pratiques d’alimentation. Des séances de groupe et un accompagnement individuel permettent de déconstruire les idées reçues et d’encourager des alternatives sûres à l’allaitement au biberon — notamment dans les sites de déplacement, où l’eau potable est rare. L’allaitement exclusif jusqu’à six mois est fortement recommandé, avec un accompagnement adapté en cas d’allaitement mixte.
« Parfois, nous rencontrons des mères ou des proches qui disent ne plus avoir de lait », explique Safiya, conseillère ANJE au centre de Deynile. « Nous leur offrons un soutien psychosocial, les aidons à rester calmes, et les accompagnons dans le processus. Beaucoup y parviennent. Et quand il y a des problèmes médicaux, nous les orientons vers des soins spécialisés. »
Maria a écouté avec attention. Elle a suivi chaque recommandation : contact peau à peau, stimulation de la succion, hydratation régulière, persévérance. Avec le soutien du personnel, elle a tenu bon.
Un jour, Mohamed a réussi à téter.
Peu à peu, la lactation de Maria est revenue. Elle a pu allaiter son petit-fils. Ce n’était pas facile, mais elle n’a jamais abandonné. Mohamed a repris des forces et ses symptômes ont disparu. Il s’alimentait désormais au sein.
Après huit jours de soins intensifs, Mohamed a pu quitter le centre.
Il avait doublé de poids — passant de 2 à 3,9 kg —, s’alimentait efficacement et avait surmonté sa maladie. Conformément au protocole national IMAM (prise en charge intégrée de la malnutrition aiguë), il remplissait tous les critères de sortie : stabilisation de son état médical, réussite de la relactation, prise de poids constante, et présence d’un soignant prêt à poursuivre les soins à domicile.
Maria a quitté l’hôpital le sourire aux lèvres, son petit-fils dans les bras.
« Je n’aurais jamais cru que je pourrais allaiter à nouveau », confie-t-elle. « Mais chaque goutte que je donne à mon petit-fils est une bénédiction. »
Aujourd’hui, Mohamed est un bébé en bonne santé, curieux et plein d’énergie. Ses yeux sont vifs, il réagit aux sons, il observe le monde autour de lui. Barliin aussi montre des signes d’amélioration — elle sourit parfois, répond à son prénom. Le chemin est encore long, mais l’espoir est revenu dans la famille.
Maria continue à veiller sur Mohamed avec dévouement. Elle lui chante des berceuses, le serre dans ses bras, et le nourrit avec force et amour.
Depuis janvier 2025, le centre de stabilisation d’Action contre la Faim à Deynile a pris en charge 1 463 enfants souffrant de malnutrition aiguë sévère et a accompagné 8 848 mères et soignants à travers des conseils nutritionnels. Ce travail vital se poursuit chaque jour — un soutien indispensable pour les familles comme celle de Maria, au cœur d’une crise humanitaire profonde.