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L’histoire de Tetiana : « Nous aspirons tous la paix, et à une nuit sûre et paisible »
Tetiana est née, a étudié et travaille à Kharkiv, dans l’est de l’Ukraine, à quelques kilomètres de la frontière russo-ukrainienne. Depuis un an, elle occupe le poste de traductrice pour Action contre la Faim. Comme beaucoup d’Ukrainien.ne.s, elle a dû fuir sa ville natale à cause de la guerre, avant de revenir malgré l’insécurité persistante.
“Le début de la guerre a été terrifiant. Je me suis réveillée au son des explosions, mais j’ai d’abord cru à un feu d’artifices. Puis j’ai reçu l’appel d’un ami qui m’a dit : « Nous sommes attaqués ». J’ai couru au sous-sol avec mon mari. Nous pouvions entendre le bruit des avions au-dessus de nos têtes.
Nous avons passé une semaine au sous-sol. Mais la nourriture s’est raréfiée et, au bout d’un certain temps, nous avons dû sortir. Je me souviens avoir fait la queue avec 200 personnes au supermarché. Un jour, une roquette est tombée à proximité, mais je suis restée car nous avions besoin de nourriture. Nous avons acheté tout ce que nous pouvions trouver, mais il n’y avait ni pain, ni pâtes, ni riz. Bientôt, les prix sont montés en flèche. Les transports sont devenus chers. Dans les gares, certaines personnes tentaient de fuir en laissant derrière elles leurs animaux et leurs biens. Fin mars 2022, le printemps avait déjà commencé mais il neigeait ; c’est quelque chose que je n’oublierai jamais.
Au bout d’une semaine de guerre, nous avons compris que nos vies ne seraient plus jamais les mêmes. Nous nous sommes réfugiés à Dnipro, puis à Lviv. De mars à juin 2022, nous avons vécu dans des conditions très difficiles, parfois dans des bureaux, en dormant à même le sol avec d’autres personnes qui n’avaient nulle part où aller. À Dnipro, des membres de la famille d’amis nous ont gentiment ouvert les portes de leur appartement. Ensuite, la société informatique d’un de nos amis a transféré son bureau de Dnipro à Lviv, et nous y avons vécu. Ils ont installé une petite cuisine et des toilettes et ont apporté des matelas et des oreillers. Des volontaires polonais nous ont apporté du pain, des biscuits et du thé ; ils ont été d’un soutien incroyable.
Après quatre mois, nous avons pris la décision de retourner à Kharkiv. Notre famille avait besoin de nous et l’entreprise ne pouvait plus nous soutenir. La situation s’était légèrement améliorée, mais les bombardements se poursuivaient la nuit et tôt le matin. Le retour a été difficile sur le plan émotionnel. Tout me paraissait étrange. Après 11 ans dans l’enseignement, j’ai décidé de changer de voie. Bien que l’enseignement soit important, j’avais l’impression de ne pas avoir l’impact que je souhaitais. Avec mon mari et un collègue enseignant, nous avons fondé une petite organisation caritative pour soutenir les personnes vulnérables. Nous la gérons toujours aujourd’hui et distribuons des vêtements, des kits d’hygiène et des livres. Par la suite, j’ai trouvé un poste de traductrice à Action contre la Faim.
La vie est plus stable aujourd’hui qu’en 2022, mais la peur demeure. Nous ne pouvons même pas planifier les choses un mois à l’avance. Hier soir encore, il y a eu des attaques de drones et des tirs d’obus. Pour m’aider à me calmer, je prends de la camomille et du magnésium. Lundi, j’étais au bureau de Solidarités International lorsqu’une explosion a fait trembler les portes. Nous avons dû nous réfugier entre deux murs pour nous protéger. Quant aux enfants, ils réagissent différemment : certains se cachent, tandis que d’autres pensent qu’il s’agit d’un simple feu d’artifice. Dans la région, la situation est pire. L’armée russe avance petit à petit et on peut même entendre les combats à la périphérie.
Nous avons dû nous adapter. Nous continuons à travailler et essayons de trouver des moments de joie. Les événements culturels se poursuivent et les spectacles d’opéra ont lieu dans les abris. Les écoles accueillent les élèves dans le métro. De nombreuses personnes recherchent un soutien psychologique pour faire face à la situation. À Action contre la Faim, nous avons travaillé avec une psychologue externe qui a soutenu à la fois les enfants de nos programmes et les employés. J’avais l’impression de porter un lourd fardeau, et j’ai été soulagée de pouvoir le déposer enfin.
La situation économique reste désastreuse pour beaucoup. Au cours des premiers mois de la guerre, les prix des logements ont chuté, mais ils sont maintenant encore plus élevés qu’auparavant. Les prix des denrées alimentaires ont aussi grimpé en flèche, tandis que les salaires et les aides sociales restent faibles. Les supermarchés fonctionnent, mais beaucoup de gens n’ont pas les moyens d’y aller. Dans les zones rurales, les gens essaient de cultiver leur propre nourriture et la vendent localement.
Depuis le début de la guerre, le sentiment d’appartenance à la communauté s’est énormément développé. Nous prenons soin les uns des autres, en particulier des personnes âgées et des enfants. Le sentiment d’identité nationale a aussi grandi. J’ai trouvé réconfortant de voir tant de gens célébrer la fête de l’indépendance de l’Ukraine, le 24 août dernier.
Malgré tout, je parviens à savourer les petites joies du quotidien. Nous aspirons tous à la paix, et à une nuit sûre et paisible. »