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réfugié haut karabakh 2025
© Carlotta Wichmann pour Action contre la Faim

« Les gens comprennent aujourd’hui que nous n’avions pas d’autre option que de tout quitter »

En septembre et octobre 2023, le conflit du Haut-Karabakh a obligé plus de 100 000 personnes, soit presque toute la population de la région, à fuir vers l’Arménie.

Au départ, le plupart des réfugiés se sont installés à Goris, dans la région arménienne frontalière du Syunik. Plus d’un an et demi plus tard, beaucoup ont déménagé dans des villes plus grandes, notamment dans le Kotayk, à Ararat ou encore à Erevan. En particulier à Erevan, les loyers et les prix de l’immobilier sont élevés, ce qui oblige les familles nombreuses à vivre entassées dans des appartements d’une seule chambre. Les déplacements rapides ont privé les réfugiés de la possibilité de se transférer de l’argent, les obligeant à vivre une situation économique très vulnérable. Ils n’ont eu le temps de n’emporter avec eux que quelques objets personnels, de l’eau et un peu de nourriture pour le voyage.

réfugié haut karabakh 2025
© Carlotta Wichmann pour Action contre la Faim

Lors de mes entretiens avec des personnes réfugiées du Haut-Karabakh, je voulais en savoir plus sur ce que ces personnes pensaient de leur vie actuelle dans la capitale de l’Arménie. J’ai commencé par rencontrer Vardan*, un homme d’environ 60 ans à l’apparence soignée. Il vivait dans une ville située à la frontière avec l’Azerbaïdjan. « Au Haut-Karabakh, nous vivions normalement, même pendant la guerre », se souvient-il. Vardan était ingénieur en mécanique et avait une entreprise de transports.

Plus tard, il a également été le leader de sa communauté. À sa retraite, il vivait dans une grande maison avec jardin. Il me raconte que personne dans son entourage, ni proches ni voisins, ne voulait quitter le Haut-Karabakh. « Les gens faisaient tout leur possible pour protéger leurs propriétés, pour protéger leur patrie. » Vardan m’explique que lorsque les maisons étaient bombardées, les membres de sa communauté se réunissaient et reconstruisaient tout ce qu’ils pouvaient. Mais un jour, ils n’ont pas eu d’autre choix que de tout quitter.

Vardan et sa famille (sa femme et ses trois enfants adultes), ne sont que quelques-uns des nombreux réfugiés qui ont fui en Arménie. Aujourd’hui, il ne reste plus rien de la tranquillité avec laquelle il vivait au Haut-Karabakh, où il avait toujours imaginé qu’il profiterait de sa retraite. Vardan et sa femme vivent dans un appartement d’une chambre au quatrième étage d’un gratte-ciel, un grand changement par rapport à leur ancienne maison. « Nous ne vivons plus aussi bien qu’avant », dit-il en se regardant les mains. Vardan explique qu’il a passé sa vie entière à construire la maison dans laquelle lui et sa famille vivaient : « C’est dur de ne pas savoir si notre maison et notre jardin existent encore et si les tombes de mes parents ont été détruites. » Il relève les yeux pour me regarder et ajoute : « Je ne dis pas qu’on vit mal ici, mais ma vie au Haut-Karabakh me manque, même sous blocus. »

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© Carlotta Wichmann pour Action contre la Faim

Ensuite, j’ai rencontré Narek*, un homme d’une quarantaine d’années portant des lunettes et à l’air aimable. Sa famille et lui vivaient une vie heureuse à Stepanakert, la capitale du Haut-Karabakh. À Stepanakert, ils s’étaient constitué un bon réseau de voisins, d’amis et de proches. Narek gagnait suffisamment d’argent pour se permettre d’avoir son propre appartement et une maison dans laquelle sa famille vivait le week-end. Depuis septembre 2023, Narek, ses parents, sa femme et ses deux enfants se partagent un appartement d’une chambre à Erevan. Trois générations vivent dans un espace réduit, chacun faisant face à des défis individuels pour s’adapter à cette nouvelle réalité.
De plus, les grandes villes comme Erevan ont leurs exigences : les parents de Narek ont des problèmes de mobilité et ont du mal à s’orienter dans la ville, surtout en métro et en bus. Narek, ancien spécialiste en sécurité technique, a eu une idée : il a créé un groupe Facebook, établissant un réseau d’entraide qui permet aux réfugiés et à d’autres personnes vulnérables de se soutenir mutuellement. L’un de ses projets à long terme est de créer une ONG pour aider les personnes qui luttent pour trouver leur voie en leur facilitant la vie et en les aidant à se sentir moins seules. En se basant sur sa dernière année et demie en Arménie en tant que réfugié, Narek souligne le besoin constant que la société arménienne s’adapte à cette nouvelle réalité. Lorsque je lui demande à quels défis font face ses enfants, il me parle de difficultés à l’école. Les autres enfants se moquent d’eux parce qu’ils parlent le dialecte du Haut-Karabakh. « Il faut changer les mentalités dans les écoles », dit-il. « Nous nous ressemblons énormément. En fin de compte, tout est une question de perspective. »

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© Carlotta Wichmann pour Action contre la Faim

Hovnan* est un homme d’environ 70 ans à l’air aimable, aux cheveux clairs et au visage paisible. Il me parle de sa vie à Martuni, où sa famille et lui vivaient dans une maison construite par son père, avec le sourire aux lèvres. L’une de ses filles a été la première à fuir le Haut-Karabakh le 25 septembre 2023, jour de l’explosion d’un dépôt de carburant militaire qui a tué plus de 200 personnes et fait plus de 100 blessés. Le reste de la famille d’Hovnan, notamment ses deux autres enfants et ses petits-enfants, l’ont suivie un jour après. Aujourd’hui, il vit dans un petit appartement avec cinq membres de sa famille, dont sa fille, son gendre et leurs deux jeunes enfants. Si sa fille, qui est dentiste, a trouvé du travail dans son secteur, son mari, qui est avocat, n’a pas eu la même chance. Aujourd’hui, il conduit un taxi pour aider la famille à subvenir à ses besoins, mais c’est elle qui apporte la principale source de revenus.

Hovnan, ancien propriétaire d’une grande entreprise du bâtiment et aujourd’hui retraité, me raconte qu’il aimerait trouver un travail en ville. Il sait que c’est peu probable en raison de son âge, mais selon lui, « un pauvre qui n’a pas d’espoir mourrait en un jour », dit-il en esquissant un sourire, même si c’est de la tristesse qui se lit dans ses yeux. Hovnan me dit qu’il est ravi de s’occuper de ses petits-enfants, même si pour lui et sa femme, il serait plus facile de vivre dans les zones rurales du pays. « Mes petits-enfants sont encore très jeunes. Ils ne savent pas ce que c’est de perdre sa patrie et la vie que l’on a construite, […] de devoir tout quitter. C’est ce qu’il y a de plus difficile », déclare-t-il. Et même si la vie ici est très différente de celle qu’il avait au Haut-Karabakh, il semble avoir accepté de refaire sa vie à Erevan.

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© Carlotta Wichmann pour Action contre la Faim

J’ai également eu l’occasion de parler avec Ani*, une jeune fille d’une trentaine d’années qui a fui le Haut-Karabakh en septembre 2020. Son histoire est semblable à celle d’Hovnan, de Narek et de Vardan : Ani et sa mère, qui a souffert de nombreux problèmes de santé, ont essayé de rester chez elles jusqu’au dernier moment. Mais lorsque les maisons de leurs voisins ont été bombardées, elles ont décidé de se rendre à la gare routière la plus proche, où des femmes et des enfants commençaient déjà à être évacués. Les larmes aux yeux, Ani se souvient de la façon dont elle a trouvé refuge en Arménie : « Au Haut-Karabakh, j’avais une vie active et un grand groupe d’amis. Je travaillais dans un supermarché. Des soldats venaient régulièrement m’informer de la situation dans notre région. » Un jour, un soldat lui a tendu une note sur laquelle figurait un numéro de téléphone : « Si la situation venait à se détériorer, appelez ce numéro une fois à Erevan ». Ani et sa mère sont arrivées à Erevan le 4 octobre 2020 et ont été accueillies par la famille du soldat. Au départ, le conflit devait être court, comme la guerre des Quatre Jours de 2016. « Mais cette fois-ci, c’était différent. » La guerre a duré jusqu’au 10 novembre, et l’Azerbaïdjan a gagné un tiers du territoire du Haut-Karabakh.

Ani et sa mère ont décidé de rester en Arménie, et depuis, elles ont trouvé un foyer grâce à un programme de logements sociaux géré par une ONG locale. « Si nous étions retournées au Haut-Karabakh, la situation aurait été tout autre. Qui sait si nous aurions pu revenir à Erevan », explique-t-elle en repensant à leur décision. Leur espace de vie se réduit à une petite chambre, une cuisine et une salle de bain qu’elles partagent avec une mère célibataire et son fils. Ani a trouvé du travail dans un supermarché local, où elle travaille de nuit pour pouvoir s’occuper de sa mère dans la journée. Elle me raconte qu’aujourd’hui, elle se sent seule, parce que ses amis, qui étaient auparavant ses voisins, se sont réfugiés à d’autres endroits après avoir fui le Haut-Karabakh. Lorsque je lui demande en quoi la situation des réfugiés en Arménie a changé depuis octobre 2023, par rapport au moment où elle est arrivée en 2020, elle me répond : « Quand nous sommes arrivées, les gens n’étaient pas aussi accueillants. » Cinq ans plus tard, « les gens ont plus d’empathie, ils nous acceptent plus, ils sont plus ouverts et plus compréhensifs. Les gens comprennent aujourd’hui que nous n’avions pas d’autre option que de tout quitter », explique-t-elle. Cette compréhension rend sa vie et celle des autres réfugiés beaucoup plus faciles.

Ceci n’est qu’un aperçu de quatre des nombreuses histoires profondément touchantes que j’ai entendues. Un sujet qui revient souvent, en particulier chez les personnes plus âgées, est le lien profond qu’elles ressentent envers leur terre natale et la difficulté à s’adapter à leur nouvelle réalité. Bien qu’elles sachent que rentrer est pratiquement impossible, la nostalgie est omniprésente.

J’admire la force et la résistance de chacun des réfugiés avec qui j’ai eu la chance de discuter. Aucun d’entre eux ne s’est rendu. Ils ont tous trouvé leur propre façon de surmonter cette situation difficile.
À la fin de leurs entretiens respectifs, Vardan et Hovnan me racontent qu’ils sont amis. Deux hommes qui, dans d’autres circonstances, ne se seraient probablement jamais rencontrés, ont forgé un lien d’amitié au cours de leur quête commune de stabilité dans leurs nouvelles vies. J’ai l’espoir que les réfugiés, avec le temps, puissent se trouver une communauté, un chez-eux loin de chez eux, même s’il leur faudra probablement du temps pour s’adapter.

Action contre la Faim s’engage à répondre aux besoins des personnes réfugiées du Haut-Karabakh. Nous avons fourni des espèces, une aide en nature, des programmes d’intégration socioéconomique et un soutien psychosocial et en santé mentale. Nos efforts de reconstruction à grande échelle comprennent des logements sociaux, des installations d’accueil et de protection sociale, et la réhabilitation d’infrastructures d’eau, d’assainissement et d’hygiène. Nous avons également installé des équipements adaptés pour que les installations soient accessibles aux personnes vivant avec un handicap. Grâce à nos interventions, plus de 500 personnes vulnérables vivent désormais dans des logements dignes et dans des conditions décentes.


* Les noms ont été modifiés pour protéger l’identité des réfugiés