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Au Kenya, elles cultivent l’égalité
Comment les associations villageoises d’épargne et de crédit et l’agriculture intelligente face au changement climatique aident les femmes à combattre la faim à Isiolo.
Atteindre l’autonomie financière grâce aux associations villageoises d’épargne et de crédit
Le sourire aux lèvres, Shinda Yussuf nous raconte que jusqu’à maintenant, elle est parvenue à économiser 960 shillings kényans (6,30 €). Pour les femmes comme Shinda, qui vivent dans la communauté pastorale du village de Malkadaka, c’est un grand pas en avant. En effet, il est rare que les femmes y aient leurs propres économies, les rôles de genre étant encore très ancrés dans la région. Mais grâce à l’association villageoise d’épargne et de crédit de la Habsa Farm, cela a commencé à changer.
Cette association de 18 membres est un outil puissant pour améliorer la résilience financière de la communauté. Les membres apportent des montants variables à un fonds d’épargne, ce qui leur permet de demander des prêts au besoin et de se constituer une assurance pour les cas d’urgence. Chaque semaine, les membres de l’association villageoise d’épargne et de crédit de Shinda peuvent acheter des parts à 100 KSh chacune pour contribuer à un fonds d’épargne. Ils ajoutent également 20 KSh par mois à un fonds social. Jumale Agah, responsable du genre et du développement social du sous-comté de Garbatulla, explique : « Ce fonds est utilisé pour aider les membres en cas d’urgence, par exemple si un membre tombe malade. L’argent du fonds social est donné aux membres sans obligation de remboursement. »
L’association villageoise d’épargne et de crédit a changé la vie de Shinda, dont le nom signifie « gagner » en swahili. Sa communauté n’a pas accès à des institutions financières, donc le fait d’avoir un moyen de mettre son argent de côté lui apporte un tout nouveau niveau de sécurité financière. Mais créer cette association n’a pas été facile. La communauté a dû se réunir pour surmonter des obstacles considérables et complètement transformer sa façon de vivre.
Renforcer la résilience grâce à une agriculture intelligente face au changement climatique
Pour pouvoir participer à l’association villageoise d’épargne et de crédit, Shinda avait d’abord besoin d’un revenu. Au départ, cela lui semblait impossible. Les rôles de genre étaient un obstacle considérable, et les opportunités financières étaient limitées pour la communauté dans son ensemble. Les membres de cette communauté pastorale élevaient du bétail et migraient régulièrement vers de nouveaux pâturages, mais le changement climatique a fortement affecté leurs moyens d’existence. Les sécheresses et les inondations, de plus en plus fréquentes, ont eu des effets dévastateurs sur le bétail et les moyens d’existence de la communauté de Shinda. La sous-nutrition, en particulier chez les femmes et les enfants, a grimpé en flèche.
En 2018, la communauté a réalisé qu’elle avait besoin d’un changement et a décidé de se tourner vers l’agriculture. Les premiers résultats ont été bons, mais les conditions climatiques extrêmes menaçaient grandement les cultures. Pour soutenir la transition de la communauté vers l’agriculture, Action contre la Faim, avec le financement de la fondation UBS, s’est associée au ministère de l’Agriculture du comté d’Isiolo pour mettre en œuvre un projet d’agriculture intelligente face au changement climatique. Cette initiative visait à améliorer l’accès aux produits frais grâce à des solutions durables qui répondaient aux besoins urgents de Malkadaka en matière de sécurité alimentaire, de diversité alimentaire et de diversification des moyens d’existence.
Action contre la Faim a fourni une formation à des techniques de culture telles que la lutte antiparasitaire, la rotation culturale et la sélection de cultures résistantes. Des méthodes d’agriculture intelligente face au changement climatique ont également été introduites pour combattre les effets de la sécheresse. Lors de la récolte suivante, la Habsa Farm a produit près de 600 kg de tomates et 100 kg d’oignons. Les agriculteurs ont utilisé les récoltes pour nourrir leurs familles, et le surplus a été vendu pour environ 60 000 KSh (395,15 €).
Action contre la Faim a également soutenu le développement d’un groupe de femmes dans lequel ces dernières pouvaient s’échanger des informations sur l’agriculture et la nutrition. Grâce aux revenus de la ferme, le groupe a été élevé au rang d’association villageoise d’épargne et de crédit, ce qui a permis à Shinda de commencer à faire des économies pour la première fois de sa vie. Les femmes ont rédigé une constitution de règles à suivre par les membres et ont continué à développer leur éducation financière. En seulement trois mois, le groupe a économisé un total de 17 320 KSh (114,07 €).
Miser sur une production locale pour lutter contre la sous-nutrition
Wario Huka Jaldesa, affectueusement surnommée « Mwalimu » (« professeure » en swahili) par sa communauté, a joué un rôle essentiel dans le recrutement de femmes pour le projet. « J’ai mobilisé les mères qui allaitaient ou qui avaient des cas de sous-nutrition dans leur famille, et nous avons commencé à planter ensemble », raconte Huka. Ces femmes ont été sollicitées car leur participation pouvait grandement contribuer à la lutte contre la sous-nutrition. Les enfants de moins de cinq et les femmes enceintes ou allaitantes sont plus vulnérables à la sous-nutrition, et les femmes qui développent des compétences agricoles et financières améliorent la santé de leur famille tout entière.
Les membres de communautés pastorales se nourrissant principalement de viande, les femmes ont beaucoup à apprendre sur la culture des légumes et les avantages de la diversité alimentaire. « Les gens pensaient que le bétail constituait une source de nourriture suffisante. Nous leur avons expliqué que, pour éviter la sous-nutrition, ils avaient également besoin de légumes et de céréales issus de l’agriculture », raconte Waqo Nura Galma, responsable de la vulgarisation agricole du comté d’Isiolo. La communauté a diversifié son alimentation en plantant une grande variété de légumes cultivés à la Habsa Farm, notamment :
- du kale ;
- des épinards ;
- des oignons ;
- des tomates ;
- des patates douces ;
- des poivrons.
« Aujourd’hui, ils ont compris les avantages de l’agriculture, non seulement en tant que source de nourriture pour leur foyer, mais aussi en tant que source de revenus lorsqu’ils vendent leurs produits », observe Janet. Shinda, mère d’un enfant de 18 mois, est rassurée de voir que la santé des enfants de sa communauté s’est améliorée grâce à la Habsa Farm. « Avant, beaucoup d’enfants devaient prendre des suppléments comme le Plumpy’Nut [un aliment thérapeutique prêt à l’emploi] », explique-t-elle. « Maintenant, nous avons nos propres légumes, la sous-nutrition a diminué et les enfants sont en bonne santé. »
Mettre fin aux rôles de genre : les femmes en première ligne du progrès économique
Au Kenya, l’autonomisation économique des femmes est essentielle. Les femmes qui participent à la prise de décisions financières dans leurs familles produisent et gagnent plus. Elles réinvestissent également jusqu’à 90 % de leurs revenus dans leurs familles, ce qui contribue à améliorer leur santé, leur nutrition et plus encore. La Banque mondiale a rapporté en 2024 qu’il y avait un écart salarial de 38 % entre les hommes et les femmes au Kenya, affirmant que « les normes sociétales qui encouragent le mariage et la grossesse précoces chez les filles amplifient ces inégalités, limitant leur accès à l’éducation et les orientant vers des opportunités économiques moins lucratives, ce qui souligne le besoin de stratégies multidimensionnelles pour s’attaquer à ces obstacles profondément enracinés ». Une plus grande inclusion des femmes dans l’agriculture et les associations villageoises d’épargne et de crédit peut être une étape critique pour combler ce fossé et favoriser le développement à long terme des communautés.
Jumale, qui est en charge des associations villageoises d’épargne et de crédit de la région, a remarqué un changement important dans la communauté. « Depuis l’introduction des associations villageoises d’épargne et de crédit, les rôles de genre ont évolué. Les hommes, qui étaient autrefois les seuls à prendre des décisions, ont compris qu’inclure les femmes dans la prise de décisions financières améliorait les revenus de la famille », explique Jumale. Les hommes ont également reçu une formation en alimentation et en nutrition. Ils ont commencé à participer aux conversations sur les groupes d’aliments et à faire les courses en pensant à la nutrition. Jumale explique : « Désormais, les hommes peuvent se rendre au marché et acheter différents groupes d’aliments. Ils savent à quelles groupes appartiennent les oignons et le riz, par exemple. Avant, seules les femmes savaient ce genre de choses. »
Un avenir durable pour les femmes et les familles d’Isiolo
Les femmes de la Habsa Farm et de l’association villageoise d’épargne et de crédit jouent désormais un rôle actif dans la prise de décisions financières pour l’association. Shinda, par exemple, s’est fixé comme objectif de gagner 5 000 KSh (33,02 €). « Une fois que j’aurai gagné 5 000 KSh, je pourrai demander un prêt et me consacrer à d’autres activités », explique-t-elle. Janet Muema ajoute : « Action contre la Faim les encourage à continuer de faire des économies pour que des prêts soient disponibles en cas d’urgence, si quelqu’un souhaite créer une entreprise ou pour payer des frais. Certaines des femmes ont des enfants qui vont au lycée et peuvent payer les frais de scolarité grâce à cela. »
Shinda Bulugu, une femme membre de l’association villageoise d’épargne et de crédit, explique que le programme a eu un impact très positif sur l’alimentation et les revenus de sa famille. Elle vend désormais des légumes de la ferme du groupe dans son magasin, garantissant un approvisionnement continu aux habitants de Malkadaka.
Janet Muema souligne le rôle du projet dans la transformation de la nutrition et de la stabilité financière des femmes. Grâce à une agriculture intelligente face au changement climatique, les femmes peuvent fournir des repas plus sains à leurs familles, vendre le surplus et faire des économies collectives, ce qui augmente considérablement leur indépendance financière. Cette autonomie leur permet de prendre des décisions éclairées en fonction des priorités de leurs familles. Le village de Malkadaka est désormais un symbole de résilience face au changement climatique et aux rôles de genre. Les femmes membres de l’association villageoise d’épargne et de crédit ne sont pas des spectatrices, mais de véritables leaders et actrices du changement durable.