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© Action contre la Faim Cameroun

La santé mentale, un chemin vers la résilience et l’espoir 

L’Extrême-Nord du Cameroun est une région durement frappée par de multiples crises : sécheresses, inondations, et insécurité liée aux incursions des groupes armés organisés (GAO). Dans les départements du Mayo-Sava, du Mayo-Danay et du Mayo-Tsanaga, les attaques répétées ont provoqué des déplacements massifs et rendu l’accès aux soins extrêmement difficile. Les habitants vivent dans la peur permanente : centres de santé pillés, risques d’enlèvements, longues distances à parcourir pour consulter. Ce climat d’insécurité a plongé une grande partie de la population dans le désespoir.

Face à cette situation, Action contre la Faim a mis en place plusieurs projets, dont Confluence, RESILAC et le projet « Réponse  aux crises axées sur la sécurité alimentaire, les interventions WASH et les soins de santé en Afrique  de l’ouest et du centre » financé par le German Federal Foreign Office (GFFO). Ces initiatives visent non seulement à répondre aux besoins essentiels en Nutrition, Santé et Eau, Hygiène et Assainissement, mais intègrent également un volet souvent négligé : la santé mentale et le soutien psychosocial. Depuis 2020, ces services sont associés aux soins de santé primaires afin d’accompagner les populations affectées psychologiquement par les crises. 

Concrètement, Action contre la Faim déploie des cliniques mobiles dans les zones reculées. Elles offrent gratuitement des soins médicaux, nutritionnels et psychologiques aux populations déplacées ou vulnérables. Chaque équipe, composée d’infirmier.e.s, sages-femmes, nutritionnistes, mobilisateurs.trices communautaires et travailleurs.euses psychosociaux, intervient dans des localités souvent isolées, où elle assure la continuité des soins malgré les risques sécuritaires. Lors des consultations, des séances de psychoéducation sont également organisées pour sensibiliser les communautés aux troubles mentaux, aider à les identifier et orienter les patients vers une prise en charge adaptée.  

© Action contre la Faim Cameroun

Les cliniques mobiles offrent bien plus que des soins médicaux : elles redonnent espoir comme le raconte Monsieur T bénéficiaire, âgé de 45 ans, vivant actuellement dans un camp de personnes déplacées internes, où intervient ACF « Après avoir fui les attaques de Boko Haram, j’étais tourmenté par la perte de mes proches, mais grâce à Action contre la Faim, je me sens beaucoup mieux. Au départ, je ne croyais pas que ces séances pouvaient m’aider, mais je me rends compte que je ne suis pas seul. Par la grâce de Dieu, ça marche ». 

Monsieur T. présente plusieurs troubles liés à sa santé mentale : il souffre de cauchemars fréquents qui le replongent dans les scènes traumatisantes vécues, d’une fatigue persistante, d’une perte de poids marquée et d’un isolement progressif. Il évite systématiquement les lieux et les sons associés aux événements traumatiques, ce qui réduit ses interactions sociales et accentue son sentiment de solitude. Accablé par un profond désespoir et par l’incapacité de subvenir aux besoins de sa famille, son état émotionnel s’est considérablement aggravé. 

Monsieur T. a eu l’opportunité de participer à un programme de soutien psychosocial fondé sur un protocole de stabilisation émotionnelle en quatre séances. Ces séances lui ont permis d’exprimer ses émotions, de développer des stratégies d’adaptation et de renforcer sa résilience. Grâce à l’accompagnement du groupe et aux échanges d’expériences, il a pu partager son vécu, s’inspirer du parcours des autres participants et acquérir des techniques de relaxation. 

À l’issue des quatre séances, une amélioration notable de son état a été observée. La tristesse intense qui était très marquée au départ a significativement diminué. Monsieur T. parvient désormais à prendre soin de lui, notamment sur le plan de l’hygiène corporelle, et s’est davantage ouvert aux autres membres du groupe. Il témoigne avoir constaté une nette amélioration de son bien-être, attribuant ces progrès au soutien collectif et à la pratique des exercices de relaxation, qui l’ont aidé à rompre son isolement. Il explique qu’il croyait être le seul à traverser une telle situation, mais le partage d’expériences lui a permis de relativiser et de se sentir compris. Bien que les cauchemars persistent, leur fréquence et leur intensité ont diminué, ce qui lui permet de mieux dormir. Par ailleurs, il a commencé à sortir plus souvent et à interagir avec d’autres bénéficiaires du camp, renforçant ainsi son sentiment d’appartenance. 

Cette expérience montre combien la santé mentale est essentielle pour accompagner les populations confrontées à la violence et au déplacement. Inspiré par ces réussites sur le terrain, Jules Brice Mbida, infirmier humanitaire d’Action contre la Faim, s’est à son tour engagé dans la promotion de la santé mentale, convaincu qu’elle est la clé d’une guérison durable et d’une résilience collective

Cependant, les besoins restent immenses : l’intégration systématique de la santé mentale dans les services de santé est encore limitée, et l’accès à ces services demeure restreint. Pour y remédier, Action contre la Faim a initié le Forum RASAM-REN (Réseau des Acteurs en Santé Mentale de la Région de l’Extrême-Nord), un espace multi-acteurs dédié aux échanges, à la sensibilisation et au plaidoyer. La troisième édition de ce forum s’est tenue à Maroua, le 9 décembre 2024, dans le cadre des 16 jours d’activisme contre les violences faites aux femmes et aux filles. 

© Action contre la faim Cameroun

Depuis 2014, Jules Brice œuvre sans relâche dans les zones les plus touchées de la région. Mais derrière son dévouement, il traversait une période de doute, de stress et de fatigue émotionnelle. Sa rencontre avec le Forum RASAM-REN a marqué un tournant décisif.

«  Avant le forum, je ne cernais pas bien les approches liées à la santé mentale. Aujourd’hui, ma perception du soin a changé. Je comprends qu’un patient n’a pas seulement besoin de médicaments, mais aussi d’écoute et d’accompagnement. »

Jules Brice Mbida 

Fort de cette prise de conscience, Jules Brice a intégré un Master en santé mentale à l’Université de Maroua. Ce choix a eu un effet d’entraînement : plusieurs de ses collaborateurs en centre de santé s’y intéressent désormais, contribuant à renforcer la ressource humaine locale en santé mentale. Grâce à ses nouvelles compétences, Jules Brice participe à la mise en œuvre des activités de santé mentale telles que des séances de sensibilisation communautaire et des groupes de parole au sein des structures de santé où Action contre la Faim intervient. 

Dans sa communauté, ce changement se fait déjà sentir. Des bénéficiaires, comme Amina, déplacée interne de Koza, témoignent : « Avant, je pensais que parler de mes souffrances était une faiblesse. Aujourd’hui, grâce à M. Brice et à son équipe, j’ai appris qu’il existe des solutions, que se soigner, c’est aussi prendre soin de son esprit. » 

Ces actions renforcent la confiance entre les patients et les soignants, réduisent la stigmatisation autour des troubles mentaux et favorisent une prise en charge plus humaine et complète. 

Au niveau régional, le Forum RASAM-REN s’impose comme un catalyseur de changement. Il permet : 

A l’instar de l’histoire de Jules Brices Mbida, ces initiatives en santé mentale permettent de renforcer la résilience et le bien-être des communautés de la région.