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© Maryna Chebat pour Action contre la Faim

La période de soudure entraîne une forte augmentation de la malnutrition au Nigeria

Alors que le Nigeria est confronté au pic de la période de soudure, la crise de la malnutrition s'aggrave, en particulier dans le nord-ouest et le nord-est du pays.

D’après l’analyse du Cadre Harmonisé de mars 2025, plus de 31 millions de personnes au Nigéria se trouvent en situation d’insécurité alimentaire de niveau crise ou pire (CH Phase 3+). Cette insécurité concerne 26 États ainsi que le Territoire de la Capitale Fédérale, pour la période de soudure de juin à octobre 2025. Il s’agit d’une forte augmentation de 22 % par rapport à l’année dernière, avec 5,5 millions de personnes supplémentaires confrontées à une insécurité alimentaire critique par rapport à 2024. Selon les derniers rapports, 3,5 millions d’enfants de moins de cinq ans sont signalés comme souffrant de malnutrition aiguë sévère dans le pays, dont 2 millions dans le nord-est et le nord-ouest. Parmi ces 2 millions, 400 000 seraient confrontés à un risque élevé de mortalité dû à des ruptures de stock de produits nutritionnels si rien n’est fait immédiatement pour redresser la situation.

Cette situation est profondément enracinée dans une combinaison de facteurs : insécurité persistante, chocs économiques et inflation, aléas climatiques et perturbation des moyens de subsistance. Ces éléments demeurent les principaux moteurs d’une crise qui ne cesse de s’aggraver. Pendant la période de soudure – également appelée « saison de la faim » ou « période de pré-récolte » – les familles sont déjà contraintes d’adopter des stratégies d’adaptation négatives, notamment en sautant des repas, en vendant leurs biens et leurs actifs de valeur ou en empruntant de l’argent pour survivre. Dans le nord du Nigeria, des décennies de conflit et d’insécurité croissante ont sévèrement limité l’accès aux terres agricoles, laissant de nombreuses communautés dans une lutte désespérée pour leur survie. Avec des champs abandonnés et des moyens de subsistance perturbés, les familles sont confrontées à des pénuries alimentaires croissantes, les obligeant à recourir à des stratégies de survie qui menacent leur santé et leurs moyens de subsistance.

L’État de Sokoto, dans le nord-ouest du Nigeria, enregistre une hausse alarmante des admissions de malnutrition

L’État de Sokoto, comme beaucoup d’autres États du nord-ouest du Nigeria, connaît une augmentation marquée des admissions pour malnutrition aiguë sévère (MAS) dans les principaux centres de stabilisation situés dans les établissements de santé. Cette tendance met en évidence la pression croissante de la période de soudure qui expose les populations vulnérables à des risques accrus de faim, de malnutrition et de maladie en raison de l’épuisement des stocks alimentaires et du manque de pouvoir d’achat pour se réapprovisionner. Des données récentes, datant de juillet 2025, provenant des installations d’Action contre la Faim dans l’État de Sokoto, révèlent des tendances alarmantes. Pour le seul mois de juillet 2025, les admissions pour malnutrition aiguë sévère (MAS) ont augmenté d’environ 68 % par rapport au mois de juin, les centres de santé fonctionnant à pleine capacité, alors qu’il n’y a que quelques centres de stabilisation dans l’État, en raison d’une crise de financement.

La situation actuelle à Sokoto met en lumière une tendance nationale plus large : la période de soudure est plus qu’un cycle prévisible – c’est un point critique qui nécessite des interventions proactives, immédiates et financées de manière adéquate.

À Sokoto, environ 1,16 million d’enfants de moins de cinq ans sont touchés, dont 297 832 souffrent de malnutrition aiguë sévère (MAS). 129 844 femmes enceintes et allaitantes présentent également une malnutrition aiguë, alors que l’État ne dispose que de six centres de stabilisation. Parmi ceux-ci, seuls trois sont soutenus par Action contre la Faim, à savoir les hôpitaux généraux de Gwadabawa, Tambuwal et Bodinga. Les données de ces établissements indiquent une augmentation constante des nouvelles admissions d’un mois sur l’autre, ce qui laisse présager une aggravation de la crise actuelle. D’avril à juillet 2025, 900 enfants ont été admis dans ces établissements, dont 51,9 % de garçons et 48,1 % de filles.

L’hôpital général de Gwadabawa est l’un des principaux établissements de santé de la région, qui dessert les cinq autres zones de gouvernement local. Les admissions sont montées en flèche de 94,6 % en juillet comparé au mois de juin, entraînant une immense pression sur les ressources du centre. 

« Nous constatons un flux incessant d’enfants souffrant de malnutrition aiguë sévère dans nos établissements« , déclare le docteur Muhammad Maiturare, directeur de l’hôpital général de Gwadabawa et du centre de stabilisation soutenu par Action contre la Faim. « La période de soudure, couplée aux déplacements dus aux inondations et à l’insécurité, a provoqué un afflux. Nos capacités sont surchargées et sans un soutien accru, la situation va encore se détériorer. »

À l’hôpital général de Tambuwal, les admissions ont augmenté de 75,3 % en juillet. À l’hôpital général de Bodinga, des données récentes ont montré une augmentation de 114 % en juillet. 

En juillet, les admissions dans les trois établissements ont atteint leur plus haut niveau, confirmant qu’il s’agit du pic de la saison de la malnutrition. Cette tendance met en évidence le besoin urgent d’augmenter la capacité d’hospitalisation, d’assurer une livraison rapide des produits nutritionnels thérapeutiques et de renforcer les systèmes de dépistage et d’orientation au niveau communautaire.

Le 24 août 2025, le nombre de patients hospitalisés dans ces centres a atteint son maximum avec une capacité d’accueil de 123% à Bodinga et de 142% au centre de stabilisation de Tambuwal. Les enfants atteints de malnutrition aiguë sévère doivent parfois partager des lits d’hôpital communs par manque de place. La capacité de réponse est saturée, les ressources pour son expansion restent limitées, et le stock de fournitures nutritionnelles essentielles s’épuise. Sans un soutien urgent pour financer ce pipeline, plus de 200 000 enfants des États du Nord-Ouest se retrouveront privés de soins, entraînant une hausse significative de la mortalité.

© Maryna Chebat pour Action contre la Faim

La malnutrition frappe des milliers d’enfants au Borno, dans le nord-est du Nigeria

Dans l’État de Borno, les équipes d’Action contre la Faim constatent également une augmentation des admissions dans les établissements de santé soutenus par l’organisation. Au centre de santé Fatima Alimodu Sheriff, le nombre total d’admissions a augmenté régulièrement, passant de 116 en avril à 144 en mai, puis à 168 en juin, soit une hausse de 24,1 % d’avril à mai et de 16,7 % de mai à juin. Cette tendance traduit une pression croissante sur la capacité de l’établissement. Le centre de stabilisation 1000 Housing a enregistré une augmentation encore plus marquée des admissions, avec une hausse de 71,8 % entre avril et mai, suivie d’une progression de 83,7 % en juin.

Ces chiffres témoignent d’un système de plus en plus sous pression et, avec des ressources limitées, la situation risque de se détériorer davantage. La forte hausse des admissions en mai, notamment au centre de stabilisation 1000 Housing, révèle un point critique dans l’insécurité alimentaire au niveau communautaire, où les mécanismes de survie échouent et les familles nécessitent une intervention médicale urgente. 

Ces chiffres soulignent la gravité de la crise nutritionnelle actuelle et la nécessité urgente d’intensifier les interventions, comme l’a fait remarquer le Dr Mohammed Asheik, agent de santé au centre Fatima Alimodu Sherriff (FAS) :

« Avec les inondations qui ont frappé certaines parties de l’État, le nombre de cas de malnutrition aiguë sévère présentant des complications médicales est écrasant. Une intervention précoce est essentielle, mais l’ampleur actuelle des besoins exige une réponse d’urgence« .

La combinaison de la faim saisonnière, du conflit en cours, des déplacements de population, de la réduction significative du financement humanitaire et des chocs climatiques a déclenché une grave urgence nutritionnelle au Nigéria. Les populations les plus pauvres et vulnérables sont les plus touchées, notamment dans les zones difficiles d’accès, où les enfants souffrent de malnutrition aiguë et d’insécurité alimentaire aux conséquences durables. Sans une action rapide et coordonnée, le pays risque de perdre des milliers d’enfants pour des causes évitables telles que la faim, la malnutrition et les maladies.