Depuis mi-décembre, près de 145 000 Sud-soudanais ont fui les combats pour se réfugier en Éthiopie, dans la région de Gambela. Ils sont 382 000 à avoir quitté le Soudan du Sud pour rejoindre les camps de réfugiés installés à la hâte dans les pays frontaliers.
Nyaguni ne sait pas son âge. Elle se souvient très bien du jour où elle est arrivée en Ethiopie, au camp de réfugiés de Leitchor, en Janvier. Nasir, sa ville d’origine au Soudan du Sud, lui semble désormais bien lointaine. Dans la pénombre de son tukul, dont le toit en paille percé laisse passer la lumière du jour, elle raconte son départ précipité du Soudan du Sud. Dix jours de marche jusqu’à Matar, à la frontière éthiopienne, puis dix jours encore pour rejoindre Leitchor. A l’époque, le camp n’avait pas encore atteint sa capacité d’accueil maximale. Aujourd’hui, entre 30 000 et 47 000 personnes s’entassent sous les tentes de l’UNHCR et dans des abris de bois et de terre cuite. Nyaguni et ses trois enfants ont fui le Soudan du Sud quelques semaines après le début des affrontements entre les partisans du président Salva Kir et ceux de son ancien vice-président, Riek Machar, limogé du gouvernement en juillet 2013. Comme la plupart des réfugiés sud-soudanais, elle a laissé à Nasir une partie de sa famille, et son mari.
A Leitchor, l’attente interminable
Ethiopie © Agnes Varraine-Leca
Assis sur la moustiquaire bleue, son fils l’écoute raconter leur exode en s’occupant du dernier né. Nyaguni attend. Elle attend l’aide alimentaire quotidienne, la visite des travailleurs humanitaires, la fin des combats au Soudan du Sud, le début de la saison des pluies. Ses voisins de fortune, Nyayual Giew et Nyabath Puol, viennent aussi de Nasir. Arrivés le 17 avril dernier, ils sont restés au Soudan du Sud tant qu’ils ont pu. La violence des affrontements et la peur les ont finalement décidés à fuir le pays. Deux mois plus tard, on ne leur a toujours pas attribué de tente dans le camp. Les deux vieux partagent un tukul avec une autre famille dans la partie inondable du camp, baptisé Leitchor 1. Les nuages noires se bousculent tous les soirs à l’horizon, pourtant les pluies ne sont pas encore quotidiennes. En mai, il a suffi de deux heures pour inonder partiellement le camp. Les autorités locales ont alors décidé de déplacer une partie des réfugiés vers Leitchor 2, où la majorité vit aujourd’hui.
Baro, en transit
Ethiopie © Agnes Varraine-Leca
Des rives du Baro, on peut apercevoir le Soudan du Sud à une centaine de mètres. A cet endroit, la rivière fait office de frontière entre les deux pays. Les rebelles de Riek Machar sont installés sous l’un des rares arbres de la rive et contrôlent le flux de réfugiés qui rejoignent l’Ethiopie en bateau. Quelques mois auparavant, environ 5 000 Sud-soudanais traversaient chaque jour. Désormais, ils sont entre 200 et 500 à rejoindre quotidiennement le camp de transit de Burbiey. Entre les mares de boue et les mouches, femmes et enfants s’entassent devant les clôtures des ONG. Nyabuok Gai Kueth a passé deux jours à Burbiey, avant de s’installer dans le camp de Leitchor. Elle a fui Malakal un matin de janvier, à la hâte sans vêtements ni argent, avec cinq de ses huit enfants. La famille est passée entre les balles sud-soudanaises, laissant derrière eux les corps criblés de ceux qui les accompagnaient. Lasse de raconter le récit de son exil périlleux, Nyabuok pointe du doigt le gros sac blanc de blé donné par le gouvernement éthiopien. Une ration mensuelle qu’elle a dû vendre en partie pour acheter des médicaments à son fils de quelques mois. Ce dernier dort sur un coin de tapis. Le petit bracelet rouge terreux qu’il porte au pied indique qu’il est traité par ACF pour son état de malnutrition sévère.
Sur le chemin de l’exode, la faim
Thokat Weyual regarde le MUAC se resserrer lentement sur son bras. Le manque de bois dans le camp complique les repas de la famille. La sentence tombe comme un couperet : 22 centimètres qui viennent confirmer son état de malnutrition. Assise sur un carré de lino bleu pétrole, les jambes croisées, elle répond patiemment aux questions des Community outreach Workers d’ACF qui suivent et détectent les cas de malnutrition à Leitchor. Derrière sa robe rose et blanche maculée de terre et de boue, on distingue à peine son ventre rond. Enceinte de huit mois, elle a prévu d’accoucher sous sa tente, entourée de ses quatre enfants. Du Soudan du Sud, Thokat n’a aucune nouvelle, pas même celle de l’apparition du choléra à Juba, la capitale du jeune Etat. Elle n’a pas encore choisi de prénom pour son enfant qui naitra dans quelques semaines à Leitchor, loin de la guerre.
Par Agnès Varraine-Leca