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© Galal Shotari pour Action contre la Faim

Le parcours de Hanan : se reconstruire au cœur de la crise humanitaire au Yémen

Hanan Hassan Fattini a été contrainte de fuir son foyer avec sa famille en 2015, lorsque le conflit a éclaté. Après des années de pauvreté extrême, Hanan a intégré un programme d’assistance financière qui lui a permis de lancer son petit commerce et de subvenir aux besoins de sa famille.

Avant la guerre, Hanan menait une vie modeste mais stable dans la ville côtière d’Hodeida, à l’ouest du Yémen. Son mari vivait d’emplois occasionnels, gagnant environ 5 000 rials yéménites par jour, l’équivalent de 18 euros à l’époque. Ce revenu suffisait à faire vivre leur famille, composée de leurs trois jeunes enfants : Jaber, 10 ans, Abdullah, 6 ans, et Abdul Rahman, 3 ans.

Mais en 2015, tout bascule. Les frappes aériennes se rapprochent dangereusement de leur quartier. La famille n’a d’autre choix que de fuir dans l’urgence, abandonnant derrière elle tous ses biens. « Nous avons emporté le strict minimum. Pendant plus d’un mois et demi, nous avons erré de village en village, dans une incertitude totale », se souvient Hanan.

C’est finalement dans le village d’Al-Qataba, district d’Al Khawkhah, à une centaine de kilomètres de Hodeida, que la famille tente de se reconstruire. Mais la réalité est rude : les loyers sont exorbitants, l’accès à l’eau est limité, la nourriture est hors de prix et il y a très peu d’opportunités d’emploi. Incapables de payer un logement, Hanan et son mari s’installent dans une hutte de fortune, faite de bois, de paille et de bâches, sans électricité ni eau courante. Aujourd’hui encore, cet abri précaire reste leur seul refuge.

Transformer l’aide humanitaire en levier d’émancipation

En décembre 2023, Hanan rejoint un programme d’assistance financière mis en œuvre par Action contre la Faim, avec le soutien du Comité interministériel d’aide alimentaire (CIAA) français. Ce projet vise à renforcer la sécurité alimentaire et nutritionnelle des populations les plus vulnérables du district d’Al Khawkhah, en combinant transferts monétaires, accompagnement social et formations pratiques.

Le programme soutient en priorité les femmes enceintes ou allaitantes, ainsi que les foyers avec des enfants de moins de deux ans, les plus exposés à la malnutrition. L’objectif est de répondre à l’urgence tout en jetant les bases d’une autonomie durable.

Hanan a reçu cinq versements de 135 500 rials chacun (environ 74 euros), répartis sur plusieurs mois. Les deux premiers ont permis de couvrir les besoins essentiels : nourriture, vêtements chauds pour les enfants, ustensiles de cuisine, et un matelas pour dormir dignement.

Mais très vite, portée par sa volonté d’indépendance et encouragée par des leaders communautaires, Hanan décide d’aller plus loin. Elle suit une formation de deux semaines à la fabrication d’encens, dispensée par la Fondation Ghita Al Rahma. Cette activité artisanale, profondément ancrée dans la culture yéménite, connaît une forte demande, notamment dans le cadre de célébrations familiales.

Grâce au troisième versement, Hanan achète les matières premières nécessaires : oud¹, musc, huile de rose, safran, glycérine, charbon, ainsi que des contenants et du matériel d’emballage. Peu à peu, elle commence à produire ses propres mélanges, chez elle, dans sa hutte. Elle les vend d’abord dans son quartier, puis dans les villages voisins, lors de foires locales ou par l’intermédiaire de femmes relais.

« La création d’une entreprise d’encens a été un tournant pour nous », déclare Hanan. « Auparavant, nous avions du mal à couvrir les besoins les plus élémentaires. Mais une fois que j’ai commencé à gagner un revenu régulier, tout a commencé à s’améliorer, nous pouvions répondre à nos besoins quotidiens et subvenir aux besoins des enfants d’une manière que nous n’aurions jamais crue possible dans les moments les plus difficiles ».

Ses revenus oscillent aujourd’hui entre 100 000 et 150 000 rials par mois (soit entre 55 et 82 euros). Cela lui permet de couvrir les dépenses alimentaires, en offrant des repas variés à ses enfants, mais aussi les dépenses de santé et celles liées à la scolarité.

Une lueur d’espoir dans un pays à genoux

L’histoire de Hanan incarne une rare lueur d’espoir dans un pays ravagé par une décennie de guerre. Le Yémen traverse l’une des pires crises humanitaires au monde : ses infrastructures sont détruites, son économie s’est effondrée et les services essentiels sont à l’arrêt. Dans de nombreuses régions, l’accès à l’eau potable, aux soins de santé ou à l’éducation reste un luxe.

La persistance du conflit, la crise économique, une production agricole et animale inférieure à la moyenne en raison des précipitations irrégulières de mai-juin et des inondations soudaines ont accentué la crise alimentaire au cours des derniers mois. Selon les dernières projections de l’IPC, 18,1 millions de personnes, soit plus de la moitié de la population, devraient se retrouver en phase 3 ou plus (crise ou pire) d’ici février 2026 dans les zones contrôlées par le gouvernement du Yémen et celles contrôlées par les autorités basées à Sanaa. Parmi elles, environ 41 000 personnes devraient atteindre la phase 5 (catastrophe), notamment dans les gouvernorats de Hajjah, Hodeida et Amran, au nord du Yémen. Cela représente une augmentation de 1 million de personnes supplémentaires en situation de crise ou pire par rapport à la période allant de mai à août 2025.

« L’intensification des hostilités dans le nord du pays, liée aux tensions régionales des derniers mois, n’a fait qu’aggraver la situation humanitaire en perturbant les marchés – dont les importations de nourriture et carburant – mais également l’acheminement de l’aide humanitaire, notamment les médicaments », alerte Anne Garella, directrice des opérations au Moyen Orient pour Action contre la Faim. « Nos approvisionnements vers le nord du pays, où les besoins sont les plus urgents, ne sont actuellement plus sécurisés. Nos équipes explorent des itinéraires alternatifs, notamment via Oman. Si cette voie de transit venait à être confirmée, cela entraînerait une hausse des coûts d’approvisionnement de 20 % ainsi qu’un allongement des délais de livraison d’environ deux mois. »

En outre, la crise humanitaire au Yémen demeure gravement sous-financée, avec seulement 13 % du Plan de Réponse Humanitaire (HRP) financé à ce jour. Cette insuffisance est aggravée par la réduction drastique de l’aide américaine, auparavant principal bailleur humanitaire du pays, ce qui risque d’avoir des répercussions catastrophiques et durables sur les populations les plus vulnérables et marginalisées.


[1] L’oud, également connu sous le nom de bois d’agar ou bois d’aloès, est un bois résineux qui provient d’un arbre tropical appelé agar. L’oud est principalement utilisé pour l’élaboration de parfums ou d’encens.