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À la Une
Promue depuis 2010 par la FAO, l’ « agriculture intelligente face au climat » (climate-smart agriculture) est définie par la FAO comme « une agriculture qui augmente durablement la production et la résilience (adaptation), réduit ou élimine les gaz à effet de serre (atténuation), améliore la sécurité alimentaire nationale et contribue à la réalisation des objectifs de développement ».
Mise en avant par plusieurs acteurs internationaux comme la Banque mondiale (BM) ou le CGIAR, et poussée par certains Etats comme les Etats-Unis et les Pays-Bas, cette approche devrait se concrétiser par le lancement d’une Alliance mondiale pour l’agriculture intelligente face au climat (Global Alliance for climate-smart agriculture – ACSA) lors du Sommet sur le Climat du 23 septembre 2014 organisé à New York par le Secrétaire général des Nations unies. Cette Alliance serait une instance politique organisée autour des trois piliers suivants : renforcement des connaissances et partage d’information, mobilisation de financements publics et privés et renforcement de leur efficacité, et création d’un environnement politique favorable. Cette future alliance suscite de fortes interrogations de la part de la société civile. Ce document présente les principales inquiétudes de plusieurs ONG françaises et internationales et formule un certain nombre de recommandations.
Le concept d’agriculture intelligente face au climat (AIC) ne répond pas à la conception de l’agriculture défendue par la France et réaffirmée tant dans sa loi d’orientation pour la politique française de développement que dans les derniers cadres stratégiques à l’oeuvre (exemple du CIS sécurité alimentaire de l’AFD). En particulier, nos ONG alertent sur une conception de l’agriculture qui présente des risques suivants et des retours en arrière sur les enjeux suivants :
Par ailleurs, le flou est entretenu sur les acteurs du secteur privé qui pourraient rejoindre l’initiative (mais le concept d’AIC est de fait porté par des grandes firmes promouvant les intrants chimiques et l’agriculture industrielle comme Yara ou Croplife7). Le « secteur privé » est traité comme un groupe monolithique, sans distinction entre petits agriculteurs, PME/PMI locales et grands groupes agro-industriels multinationaux, alors que c’est le soutien au développement de l’initiative privée locale qui bénéficie davantage aux populations.
Il convient de rappeler que les Etats et organisations internationales qui sont aux commandes du projet de cette Alliance, comme les Etats-Unis ou la Banque Mondiale, sont également les acteurs favorables à l’inclusion du secteur agricole dans les marchés carbone, malgré les limites d’une telle approche et les risques associés. En effet, ce sont les grandes exploitations agricoles et l’industrie agroalimentaire, et non les petites exploitations, qui seraient susceptibles d’attirer la plupart des investissements dans la séquestration du carbone dans les sols. Par ailleurs, les champs destinés à l’agriculture sont sujets à des processus biologiques complexes et sont hautement hétérogènes par nature, ce qui rendrait difficile l’obtention des mesures fiables du carbone contenu dans les sols, essentielles à la quantification du CO2 séquestré ainsi qu’à la génération des crédits correspondants. Enfin, l’inclusion de l’agriculture aux marchés du carbone pourrait également entraîner une augmentation de la pression sur la terre.
L’ACSA ne propose pas de réflexion structurelle sur les modèles de production qui peuvent à la fois être sobres en carbone et jouer un rôle clef dans la sécurité alimentaire. A l’inverse, elle semble apporter sa caution à un modèle agricole basé sur l’intensification, les cultures d’exportation destinées aux marchés mondiaux, et l’utilisation de bio-technologies. Elle élude en outre la question cruciale de la sécurité alimentaire et nutritionnelle. Dès lors, nous demandons à l’Etat français de ne pas s’engager dans cette Alliance qui ouvre la voie à des pratiques et des modèles qui ne sont pas ceux défendus par la France ces dernières années et qui vont à contre-courant des récents engagements du gouvernement français réitérés par le MAF et le MAE au lancement de l’Année internationale de l’agriculture familiale il y a quelques mois.
L’Etat français doit s’assurer que le lancement de l’ACSA ne se fasse pas aux dépens des négociations en cours dans le cadre de la CCNUCC et que la question de l’articulation avec la CCNUCC, mais aussi le Comité pour la Sécurité Alimentaire Mondiale, est prise en compte et sérieusement traitée. Il est crucial que la France, en tant que future présidente de la COP21, donne toute sa chance au processus multilatéral onusien, le seul qui est à même de garantir un accord de toutes les parties reflétant les préoccupations de tous, y compris des PED et des PMA, en matière de droit à l’alimentation, de responsabilité commune mais différenciée et d’équité.
Une alliance ad hoc sur le développement d’une agriculture sobre en carbone, si elle était amenée à devenir opérationnelle et à être plus largement soutenue, ne pourrait jouer un rôle significatif que sur la base d’objectifs clairs et transparents : sécurité alimentaire et nutritionnelle, droit à l’alimentation et reconnaissance de la responsabilité principale de certains modèles agricoles dans les émissions de GES du secteur. Elle devrait à cet égard prioriser explicitement le soutien au développement de l’agro-écologie et des agricultures familiales et paysannes et le développement de l’initiative privée locale plutôt que le soutien aux investissements privés de grands groupes multinationaux et/ou de leurs filiales sur place.
Il serait très dangereux de continuer à négocier sur la forme de l’alliance sans se préoccuper du fond, des pratiques qui pourraient être valorisées dans ce cadre et des logiques qui sous-tendent ce modèle. Si la France souhaite s’engager dans cette ACSA, elle devrait à minima demander la reconnaissance d’un certain nombre de critères d’inclusion et d’exclusion. Les agro-carburants industriels, les OGM et les intrants chimiques devraient être exclus systématiquement et clairement du cadre de l’ACSA.
L’ACSA doit s’intégrer pleinement dans le cadre des Nations unies et se doter d’un cadre de gouvernance lisible et transparent, ainsi que d’exigences de redevabilité claires, pour l’ensemble de ces parties prenantes. En l’absence d’un tel cadre, les risques sont forts que l’ACSA ne devienne qu’une chambre d’enregistrement de dynamiques déjà engagées par ailleurs et qui ne répondront pas forcément de notre point de vue à l’exigence de repenser nos façons de produire, d’échanger, de consommer face au double défi climatique et de sécurité alimentaire.
L’ensemble de ces préalables doivent conditionner un engagement de la France dans une telle initiative et non pas être renvoyées à plus tard. Le flou actuel sur les acteurs effectivement impliqués, sur le modèle prôné et sur les capacités réelles d’orientation des choix de l’ACSA notamment en termes d’investissements nous alerte également fortement.
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