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Bangladesh - Anwara © Sébastien Duijndam
pour Action contre la Faim

En Immersion

1 an après l'exode Rohingya

Ils ne veulent plus vivre dans la peur

Anwara Begum a 40 ans. Elle est fiévreuse depuis quelques jours. Hier elle est partie à l’hôpital, chercher un traitement. Elle espère qu’elle ira mieux rapidement et que la rechute, presque inévitable au vu des conditions sanitaires déplorables, se fera attendre pour avoir un peu de répit.

Elle nous invite à prendre place sur le tapis tressé qui recouvre à peine le sol de terre battue. Il fait très sombre et la fumée âcre qui s’échappe de l’abri des voisins saisit la gorge. Dans la pièce, sa fille Mohsena, 20 ans, tient son fils sur ses genoux. C’est le premier petit-fils d’Anwara : il est né trois jours avant que la famille ne fuie le Myanmar et les exactions dont ils étaient victimes en tant que Rohingyas, une minorité musulmane persécutée. « Les militaires ont tué mon mari. Ils l’ont emmené avec d’autres hommes dans une école voisine. Je venais de donner naissance à mon fils. Mon mari n’a jamais eu la chance de le voir. » raconte Mohsena.

Ici, l’enfant n’a pas de statut tout comme les 700 000 personnes qui ont fui en août dernier. Il n’est pas réfugié, il est un « national du Myanmar déplacé de force » selon la dénomination du gouvernement bangladais. Là-bas, au Myanmar, il n’a pas d’existence non plus. Les Rohingyas sont apatrides. Ils ne sont pas reconnus comme des citoyens birmans.

Anwara réajuste le voile léger qui couvre ses cheveux. Derrière elle, ses fils et ses filles se sont rassemblés pour écouter le récit de leur mère. Certains sont assis dans le réduit adjacent qui fait office de cuisine. Quand nous lui demandons si elle se sent à l’aise pour parler avec une telle assemblée, elle sourit gentiment « nous l’avons vécu ensemble » répond-elle avant de raconter.

Bangladesh - Anwara © Sébastien Duijndam
pour Action contre la Faim

Bangladesh

Anwara et sa famille

© Sébastien Duijndam pour Action contre la Faim

« Quand nous avons fui, nous n’avions pas emporté de nourriture avec nous. En route vers la frontière,nous passions parfois à travers des villages désertés. Nous sommes entrés dans des maisons vides où il restait des aliments. À part cela, il était très difficile de se nourrir. Je me souviens d’un jour particulier ; pendant toute la journée et la nuit, nous n’avions ni nourriture ni eau. Nous étions perdus au milieu de nulle part sans aucune habitation à proximité. Les gens avaient tellement faim. »

Le voyage jusqu’à la frontière a duré une dizaine de jours, une épreuve pour Mohsena, la fille aînée qui venait d’accoucher « J’étais à peine capable de bouger, je n’étais pas encore guérie de la naissance. C’était une époque terrible. Je gardais mon fils sous mes vêtements, près de ma peau pour le garder au chaud et silencieux. Mes cicatrices étaient douloureuses et mes jambes gonflées. À un moment, nous avons dû traverser un canal à pied. A cause de l’eau, j’ai attrapé une infection qui a mis du temps à guérir car je ne pouvais pas payer des médicaments. »

Dans le coin de la pièce, un petit garçon babille, tentant d’attirer l’attention de sa mère. Ziqbul Haq a trois ans, c’est le plus jeune enfant d’Anwara. Il avait à peine deux ans quand ils ont fui. « Près de la frontière, la foule était si dense et désemparée que les mouvements étaient imprévisibles. Deux de mes enfants sont tombés dans un étang de pêche. Tosmin Ara, 6 ans et Ziqbul Haq 2. J’ai eu si peur, heureusement les habitants de la région ont réussi à les sortir grâce à des filets de pêche. »

Après avoir traversé la frontière, les premiers à avoir apporté de l’aide à la famille d’Anwara sont les bangladais. Une solidarité et une générosité qu’elle n’oublie pas.

"Ils nous ont accueillis alors que nous n’avions rien. Je me souviens aussi que c’est la première fois que j’ai connu Action contre la Faim."
Anwara
Cox's Bazar, Bangladesh

« Nous avons bénéficié d’un repas chaud. C’était du khichuri : du riz, des lentilles, des épices et des légumes. »

L’installation dans le camp a été pénible. Il n’y avait rien à l’arrivée que des collines boisées qu’il a fallu aménager. La famille a vécu plusieurs semaines sous une bâche plastique tendue entre les arbres avant de recevoir les matériaux nécessaires à la construction de leur abri actuel. Une maigre amélioration qui ne rend pas la vie plus facile pour autant. Deux des enfants, dont Ziqbul, sont rapidement tombés dans la malnutrition et ont été pris en charge par le centre de santé d’Action contre la Faim.

Bangladesh - Anwara family © Sébastien Duijndam pour Action contre la Faim

© Sébastien Duijndam pour Action contre la Faim

Bangladesh - Anwara family © Sébastien Duijndam pour Action contre la Faim

© Sébastien Duijndam pour Action contre la Faim

Bangladesh - Anwara family © Sébastien Duijndam pour Action contre la Faim

© Sébastien Duijndam pour Action contre la Faim

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Aujourd’hui est d’ailleurs le jour de contrôle pour Ziqbul. L’enfant est officiellement guéri de la malnutrition mais nécessite d’être surveillé. C’est sa sœur aînée, Nur Fatema, 10 ans, qui l’amène au centre de santé. Le garçonnet sur la hanche, elle déambule dans le labyrinthe des abris pour rejoindre la route qui fait le tour du camp. La circulation est dense et les klaxons incessants avertissent du passage rapide des camions de l’armée bangladaise chargée de consolider une nouvelle route qui traverse le camp et ses extensions. Transversale, la nouvelle voie mesure près de 15 kilomètres. Le camp, qui s’est étendu à perte de vue, fait près de 25 km² soit la superficie de la commune de Versailles.

 

Arrivés au centre, la sœur et le frère patientent sur des matelas posés au sol. Les équipes ont installé un petit écran de télévision qui diffuse des dessins animés. Brève parenthèse d’enfance dans un quotidien morne. Puis Ziqbul est examiné par les infirmières ; poids, taille, tour de bras, rythme cardiaque. A part une légère fièvre, le garçonnet va bien si l’on s’en tient à des critères physiques. Après avoir récupéré une ration de biscuits énergétiques pour son petit frère, Nur Fatema se dirige vers l’espace des repas chaud. Des volontaires communautaires distribuent des assiettes de khichuri, le fameux repas nutritif. Chaque jour dans le camp c’est plus de 11 000 repas qui sont ainsi prodigués. Avant de repartir chez eux, ils s’arrêtent à l’espace de jeu qui est animé par les équipes de soutien mental et psychologique.

 

Purno Prova Thanchanggya est en charge de l’espace. “Il y a un an, les enfants étaient terrifiés en permanence. Ils restaient agrippés à la robe de leur mère, se cachant. Quand vous leur donniez unjouet, ils s’asseyaient silencieusement. Ils se contentaient de le serrer contre eux sans jouer. » En regardant la salle où s’ébattent joyeusement une vingtaine d’enfants, occupés à construire des tours colorées ou à chevaucher des poissons à bascule, difficile d’imaginer l’endroit empreint de peur. « Cela va beaucoup mieux maintenant, ajoute Purno Prova, ils se sentent en sécurité ici. Même leurs dessins ont changé, avant ils montraient des villages en flammes et des morts, désormais ce sont des esquisses plus joyeuses. » En parallèle des sessions thérapeutiques de jeu avec les enfants, les équipes de Purno Prova écoutent et conseillent les mères et les accompagnants sur les bonnes pratiques d’hygiène et de soins. Les enfants malnutris pris en charge par le centre comme Ziqbul bénéficient de session de massage et de bain pour renforcer le lien mère-enfant. Si des traumas sont détectés, les personnes sont orientées vers les trois psychologues du centre pour un accompagnement personnalisé.

Retour chez Anwara Begum, qui a, elle aussi, bénéficié de support mental et de sessions avec les enfants. « L’an dernier, ce n’était que le point culminant d’une année de terreur. Les attaques étaient récurrentes. C’était un lent empoisonnement de notre existence. La nuit, lorsque les chiens se mettaient à aboyer, nous savions que cela allait arriver. Les hommes fuyaient pour se cacher et sauver leurs vies et nous les femmes nous nous réunissions pour se donner du courage. Après mon arrivée au Bangladesh, il m’a fallu près d’un mois et demi pour arrêter de réagir aux aboiements. Le soutien psychologique m’a aidé à surmonter cette peur et j’ai pu aussi aider mes proches. »

"Chaque jour, je pense à mes enfants et à mes petits-enfants. Quelle vie auront-ils ?"
Anwara
Anwara
Cox's Bazar, Bangladesh

Alors que son mari, Farid Alom, 55 ans, trie les tiges de légumes dans un panier en osier qu’il portera à un marché non loin de là, Anwara pense à l’avenir. « Shanti, le mot veut dire paix. Ici, personne ne nous attaquera. J’ai un sentiment de liberté comparé à notre vie au Myanmar. Mais en tant que mère, je me sens désespérée. Chaque jour, je pense à mes enfants et à mes petits-enfants. Quelle vie auront-ils ? C’est une douleur constante, une pensée brûlante. J’ai entendu dire que nous pourrions être relocalisés. La douleur que nous avons endurée pendant notre déplacement et notre installation sera ravivée. Nous devrons tout recommencer sans aucune certitude quant au lendemain. Rentrer ? Le Myanmar n’est pas stable pour nous, notre village a été détruit. Je ne veux plus vivre dans la peur. »

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