Faire un don

Votre navigateur internet n'est pas à jour.

Si vous souhaitez visionnez correctement le site d'Action contre la Faim, mettez à jour votre navigateur.
Trouvez la liste des dernières versions des navigateurs pris en charge ci-dessous.

Mina KHAVARY, Reyhan ASLAMI and Shamma KATAWAZI (14)-min © Maryna Chebat pour Action contre la Faim

À la Une

Afghanistan

Réparer l’invisible : la prise en charge des traumatismes psychologiques par téléphone en Afghanistan

Si les cicatrices physiques de la guerre sont souvent visibles, l’impact sur la santé mentale reste invisible. Depuis 2021, le bien-être mental de la population a continué d’être affecté par les changements politiques et les difficultés économiques, entraînant des niveaux accrus de stress, d’anxiété, de dépression et un sentiment d’incertitude quant à l’avenir. Compte tenu des ressources limitées de la population et de la stigmatisation qui entoure les problèmes de santé mentale dans le pays, cette dernière est devenue une préoccupation urgente. Le pays manque de professionnels de la santé mentale, notamment de psychiatres, de psychologues et de conseillers psychosociaux. Les quelques structures existantes de prise en charge sont concentrées dans les zones urbaines, laissant les communautés rurales souvent mal desservies.

 

Rendre les services de santé mentale accessibles

 

En 2022, Action contre la Faim a lancé une ligne téléphonique de soutien psychologique. Un numéro de téléphone gratuit permet aux personnes qui le souhaitent de joindre une équipe de professionnels formés aux interventions psychosociales et psychologiques, aux techniques de consultation en ligne et en situation d’urgence, y compris la réduction du risque de suicide.

Aujourd’hui, le service emploie 13 personnes, dont deux réceptionnistes et onze psychologues, qui ont dispensé plus de 2069 séances depuis son lancement en juin 2022*. Cette ligne téléphonique permet de couvrir des zones rurales, telles que Ghor, Daykundi, Nangarhar et Badghis. Quant aux villes, la plupart des appels proviennent de personnes résidant à Kaboul, Herat, Balkh et Kandahar.

AFG_Context_2022_Sandra Calligaro (19)-min © Sandra Calligaro pour Action contre la Faim

Zone difficile d’accès dans la province de Daykundi, district de Pato.

© Sandra Calligaro pour Action contre la Faim

Nos psychologues font partie des quelques personnes dans le pays qui sont témoins des traumatismes psychologiques, souvent invisibles, vécus par la population afghane. Pour Asef, un psychologue de la ligne téléphonique ayant une formation en psychologie clinique, les problèmes de santé mentale en Afghanistan sont souvent stigmatisés et mal compris. Les normes culturelles traditionnelles dissuadent de parler ouvertement des difficultés personnelles, ce qui empêche les gens de chercher de l’aide. « Par conséquent, les personnes confrontées à des problèmes de santé mentale peuvent se retrouver isolées, ce qui rend encore plus difficile l’accès à un soutien et à un traitement appropriés. C’est pourquoi il est essentiel que notre numéro de téléphone soit accessible à tous, hommes et femmes. A ce titre, la consultation en ligne facilite grandement les choses. Les gens se sentent plus à l’aise lorsqu’ils partagent leurs difficultés par téléphone, sans voir nos visages« .

L’anonymat de la ligne téléphonique permet aux personnes de se sentir en sécurité et à l’aise pour partager leurs émotions et leurs sentiments sans craindre d’être jugés ou stigmatisés. La confidentialité est primordiale, assurant aux personnes que leurs informations personnelles ne soient jamais divulguées. « Les idées reçues qui entourent la santé mentale perpétuent la croyance selon laquelle la détresse psychologique est un signe de faiblesse ou un échec moral« , explique Tamana, psychologue de la ligne téléphonique. « La ligne téléphonique donne aux femmes une sorte de liberté et un espace sûr où elles sont plus enclines à partager leurs problèmes et leurs émotions”. Bas Bibi, psychologue de l’équipe, souligne que le système de la ligne téléphonique est très bénéfique, en particulier pour les personnes qui vivent dans des zones rurales et qui n’ont pas accès à des spécialistes en santé mentale.

Tamana ROHANI and Bas Bibi MANGAL Hotline psychologists (4)-min (2) © Maryna Chebat pour Action contre la Faim

Taman (à gauche) et Bas Bibi (à droite), psychologues de la ligne téléphonique mise en place par Action contre la Faim.

© Maryna Chebat pour Action contre la Faim

Group photo of MHPSS Hotline psychologists-min © Maryna Chebat pour Action contre la Faim

Photo de groupe de l'équipe de psychologues de la ligne téléphonique.

© Maryna Chebat pour Action contre la Faim

1/2

L’équipe a établi des protocoles pour mettre en place des appels de suivi afin de vérifier le bien-être des personnes et d’assurer la continuité des soins. Ces sessions de suivi permettent un soutien continu et d’éviter la dégradation de certaines situations difficiles. Pour les personnes nécessitant un soutien plus spécialisé, la ligne téléphonique peut les orienter vers des professionnels de la santé mentale ou des cliniques locales.

 

Soigner les vies brisées et les traumatismes

 

Les femmes et les enfants sont les plus touchés par les traumas et troubles psychologiques. L’augmentation des violences sexistes et le manque d’accès à l’éducation et aux soins de santé ont exacerbé leurs vulnérabilités face aux risques de troubles mentaux. Mais les hommes sont aussi touchés, souvent traumatisés par des années de guerre et impuissants à cause de leur situation économique difficile et de leur incapacité à nourrir leur famille. Pour Mina, psychologue expérimentée, l’une des principales causes des problèmes et de la violence domestique est la crise économique que traverse le pays depuis plusieurs années. « La plupart des personnes qui appellent rencontrent des problèmes économiques. La mauvaise situation financière est la cause de la plupart des problèmes familiaux et de la violence, en particulier lorsque les femmes sont réduites au silence et n’ont pas le droit d’exprimer leur opinion. Si nous demandons à un homme : « Comment gérez-vous votre colère ? Souvent, on entend la réponse : « Je bats ma femme ».

La société et les normes traditionnelles en matière de genre influencent souvent la manière dont les hommes expriment leur colère et y font face. Il est courant de croire que le fait d’exprimer sa vulnérabilité ou de rechercher un soutien en matière de santé mentale est un signe de faiblesse, ce qui conduit les hommes à réprimer des émotions telles que la colère plutôt que de chercher de l’aide. Shah Jahan travaille en tant que psychologue de la ligne téléphonique d’Action contre la Faim depuis deux mois. En si peu de temps, il a mené plus de 80 séances psychosociales. « Un jour, j’ai reçu un appel d’un homme terrifié qui n’avait personne à qui parler. J’ai appris que son frère avait été torturé à mort et qu’il avait dû quitter le village par peur« . Lors de la première séance, Shah Jahan constate que l’homme a développé des crises de panique et un syndrome de stress post-traumatique. « L’homme a tellement souffert qu’il est devenu intolérant aux bruits et a paniqué même au son d’une poule. Il ne supportait plus aucun bruit, devenait violent et se mettait à battre sa femme et ses enfants« . Après plusieurs séances avec Shah Jahan, l’homme a surmonté ses peurs et ramené plus de calme dans son foyer. Pour Shah Jahan, il s’agit d’une petite victoire dans son travail quotidien.

Les conseillers en santé mentale sont formés pour écouter avec empathie et compréhension. Ils reconnaissent les sentiments des personnes qui cherchent du soutien, s’assurant qu’elles se sentent entendues et soutenues. Pour les adolescent.e.s, cette reconnaissance joue un rôle important, car elle les aide à réaliser qu’iels ne sont pas seul.e.s dans leur lutte. Certain.e.s adolescent.e.s retrouvent du courage et de la force pour appeler et demander de l’aide.

Tamana a suivi le cas d’une jeune fille victime de harcèlement scolaire et de violences sexuelles. Il s’agissait d’un cas complexe de vengeance suite à un conflit mineur à l’école. « De retour à la maison, elle n’a rien pu dire à ses parents ou à sa famille, et a passé plusieurs jours enfermée dans sa chambre. Un peu plus tard, elle a découvert qu’elle était enceinte”. La jeune fille a découvert que soulever des objets lourds pouvait déclencher une fausse couche, ce qu’elle a finalement fait. « Elle vit dans la peur et le silence, et n’a pas pu reprendre une vie normale. Elle refuse toutes les propositions de fiançailles parce qu’elle craint que son histoire ne soit révélée« , explique Tamana. « En cherchant du soutien, elle a déjà fait le premier pas vers la guérison et s’est libérée des chaînes du silence. J’espère qu’un jour elle retrouvera confiance en elle et construira sa nouvelle vie comme elle souhaite« .

Un autre jour, Tamana a reçu un appel d’une femme qui est restée en pleurs pendant 15 minutes. « J’ai tenu le téléphone et je l’ai accompagnée jusqu’à ce qu’elle puisse parler et partager son chagrin. Cela fait partie de notre travail« .

Mina KHAVARY, Reyhan ASLAMI and Shamma KATAWAZI (17)-min © Maryna Chebat pour Action contre la Faim

Mine (à gauche), Reyhan (au centre) et Shamma (à droite) expliquent que de nombreuses femmes qui appellent le numéro vert sont confrontées aux violences sexistes et souffrent de dépression.

© Maryna Chebat pour Action contre la Faim

Les besoins en matière de santé mentale en Afghanistan sont immenses et constituent une crise urgente et négligée. C’est pourquoi cette ligne téléphonique de soutien psychologique est une véritable bouée de sauvetage pour les personnes aux prises avec des problèmes psychosociaux dans un pays où les services de santé mentale sont limités et stigmatisés. Il est essentiel de maintenir ce soutien unique qui joue un rôle indispensable dans l’amélioration du bien-être mental de la population afghane**.

 


La ligne téléphonique de soutien psychologique d’Action contre la Faim est financée grâce au soutien du DEC (Disasters Emergency Committee). Tous les entretiens avec l’équipe des psychologues ont été réalisés en juin 2023.

* Les données couvrent la période entre Juin 2022 et Juin 2023.

** Outre la ligne téléphonique, Action contre la Faim fournit des services de santé mentale en présentiel aux filles et aux femmes à travers des espaces adaptés (Women Friendly Spaces). Elles peuvent également bénéficier de nos services dans les espaces de santé mentale et les espaces mère-enfant dans les unités d’alimentation thérapeutique, où elles peuvent accéder à des pratiques de soins optimales, à des séances de psychostimulation et à un soutien psychosocial en personne.

Restez informés de nos dernières nouvelles