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RCA

Des groupes de paroles pour rompre l’isolement des mères

[fancy_header type= »1 or 2 or 3″ subtitle= »for type=2″]Photographie ACF[/fancy_header]

Sybille Rulf a travaillé deux mois pour Action contre la Faim en République centrafricaine, sur un programme de sensibilisation à l’allaitement et à l’alimentation des enfants. Avant la RCA, cette psychologue canadienne est intervenue en Bosnie et en territoire palestinien occupé, pour plusieurs organisations humanitaires. A Bangui, la capitale centrafricaine, elle a mis en place un programme de groupe pour les mères en détresse.

De sa mission en RCA au début de l’année, Sybille se souvient de la chaleur évidemment, de la poussière, des multitudes d’arbres, de la couleur de la terre. Rouge. De la pauvreté extrême, qui se manifeste par les bâtiments partiellement détruits de Bangui, les vêtements usés et les toutes petites quantités de nourriture vendues sur les marchés. Et des contraintes de sécurité, qui ont réduit drastiquement ses mouvements jusqu’à les limiter uniquement à la base d’ACF à Bangui.

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Affrontements sur fond de précarité extrême

« On a l’impression que les Centrafricains sont complètement livrés à eux-mêmes. Les gens travaillent dur, on voit beaucoup de jeunes qui transportent du bois en charrette par exemple. Les efforts de la population sont visibles, ce qui contraste terriblement avec l’absence du gouvernement dans les affaires quotidiennes. La présence étrangère est en revanche très forte, les casques bleus sont à tous les coins de rue et la plupart des véhicules qui circulent appartiennent aux ONG. »

Si beaucoup de rues sont en terre, il y en a pourtant quelques unes pavées, même si elles se dégradent chaque année à cause de la saison des pluies. La construction de caniveaux pour la canalisation des eaux usées avait déjà commencé lorsque Sybille est arrivée en Centrafrique. A ce moment-là, le pays était déjà déchiré par un conflit inter-communautaire larvé qui s’est intensifié à partir de mars 2013. Les violences ont entraîné le déplacement de près d’un million de Centrafricains sur une population totale de 4,6 millions d’habitants, avec des conséquences humanitaires dramatiques. A Bangui, la moitié de la ville vit toujours dans des camps. Sybille a commencé son travail dans deux centres situés dans le quatrième et le cinquième arrondissements de la capitale, PK4 et PK5. Des quartiers ciblés pour leur précarité accrue, et où un nombre conséquent de femmes se retrouvent seules, leurs proches ayant été tués lors des affrontements.

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Détresse et isolement

« Le programme de sensibilisation à l’allaitement et à l’alimentation devait nous aider à repérer et identifier les mères en détresse. Lors des séances de sensibilisation, il fallait faire de l’accompagnement individuel pour les mères en détresse. On a constaté que les difficultés mères-enfants sont généralement liées à la détresse. Par exemple, les travailleurs psychosociaux parlaient de cas d’enfants en bas âge qui refusaient d’être sevrés. Il s’agit de problèmes d’ordre psychologique, comme la plupart des problèmes rencontrés par ces mères. »

Des enfants qui ressentent l’angoisse de leur mère, mais ne sont pas en âge de comprendre, de pouvoir nommer leurs sentiments. Ces situations sont vécues comme des rejets qui développent un attachement extrême à la mère par peur de la perdre. « Concernant les enfants qui ne voulaient pas être sevrés, il s’agissait du seul lien qu’ils avaient avec leur mère, c’est pourquoi ils continuaient à s’y accrocher. La mère n’était plus en capacité de donner son attention, de sourire et de jouer avec l’enfant, d’avoir une relation plus détendue. Ce type de situation était quasi-systématique : des mères qui allaitent leurs enfants sans les regarder, sans sourire. Au fil des conversations avec chacune, nous avons réalisé l’ampleur des souffrances. »

Des mères aux visages fermés, qui ne sont plus en mesure de s’occuper de leurs enfants tant elles ont vécu d’atrocités. Hantées, ces femmes présentent tous les symptômes post-traumatiques. « On observe souvent des cauchemars, des peurs, et des symptômes physiques tels que maux de têtes, d’estomac, des douleurs générales, des insomnies, de l’anxiété, de l’irritation et la déprime. Ça peut aller de la dépression, de l’anxiété à un état d’alerte constant. »

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Libérer la parole

En situation de détresse et d’isolement, les mères perdent vite patience et n’ont plus l’espace ni la force pour interagir avec leurs enfants. La relation à l’autre devient difficile, voire impossible, dans un contexte de guerre qui entraîne un sentiment d’insécurité totale, de culpabilité, la perte de repères, de sens et une méfiance systématique envers l’autre.

Pour Sybille, la solution à ces maux passe par le groupe. Des groupes de 8 à 10 personnes, gérés par une équipe mixte, qui se rencontrent et échangent pendant deux heures, idéalement chaque semaine, en fonction du contexte sécuritaire et de la capacité des femmes à venir au centre. « J’ai opté pour le suivi en groupe parce que, par expérience, je sais que le suivi en groupe apporte des changements plus importants et plus puissants pour les femmes. Le groupe normalise les expériences de traumatisme. » Et permet de rompre l’isolement des mères, le début d’un long chemin vers la guérison. La confidentialité joue un rôle particulièrement important dans la dynamique de groupe et la libération de la parole. Hésitantes au départ, les femmes commencent à s’ouvrir dès lors que les bases de la confidentialité sont posées. Des bases solides qui ont même amené certains groupes à poursuivre les rencontres en dehors du centre, dans leurs quartiers.

Des changements dans les comportements ont été constatés après plusieurs sessions, notamment pendant les séances de relaxation qu’organisait Sybille. Des moments d’ouverture et de détente, où les rires se font à nouveau entendre. « D’une manière générale, cela s’observe très vite et il y a un impact direct sur les enfants. Comme leurs mères, ils s’ouvrent davantage, sont moins angoissés, sourient plus souvent et jouent avec les autres. On a constaté aussi qu’ils étaient moins accrochés à leurs mères et s’ouvraient un peu plus aux autres personnes présentes. Je repense par exemple au cas d’une mère et de son enfant de six ou sept mois lors d’une démonstration culinaire où les femmes sont formées à l’équilibre alimentaire. L’enfant ne s’est pas dirigé vers sa mère, mais plutôt vers les personnes qui faisaient la présentation. Il y a eu plusieurs échanges entre l’enfant et sa mère, mais celui-ci était complètement passionné par ce qu’il voyait. » Un lien qui fonctionne, et qui est tout aussi rare que parfait. Une preuve supplémentaire de l’utilité de ce type de programmes pour les mères en détresse dans les contextes de crise profonde, comme c’est le cas en République centrafricaine.

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