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L'Europe, le non-choix des réfugiés syriens

Des centaines de milliers de réfugiés, pour la majorité syriens, fuient en direction de l’Europe. Depuis la Turquie, ils embarquent sur des canots de fortune en quête de paix et d’une vie meilleure. Le sujet fait la une des médias internationaux mais qu’en disent les réfugiés dans les pays voisins de la Syrie ?

A Irbid, au nord de la Jordanie, Action contre la Faim travaille en partenariat avec des organisations locales et accueille des groupes de femmes pour des sessions de soutien psychologique et de pratiques de soins. C’est à cette occasion que nous avons rencontré Watfa, Maiada et Laila : trois femmes et autant de parcours et d’envies différentes, qu’elles ont pris le temps de nous raconter.

Watfa, ses cinq enfants, son mari et sa belle-mère Fatima occupent le sous-sol d’une maison à quelques kilomètres du centre-ville d’Irbid. Dans la pièce principale, des fauteuils élimés, une table basse et un téléviseur font office de mobilier. L’écran est éteint, les deux femmes ont déjà eu leur lot d’images pour la journée : « Avant, nous regardions en permanence les évènements en Syrie, maintenant nous suivons le périple de ceux qui partent en Europe, ça ne s’arrête jamais. » Lorsqu’elle ne regarde pas la télévision, la jeune femme observe distraitement son téléphone et lit quelques commentaires postés sur Facebook par un cousin de son mari. Il parle de l’accueil que sa famille a reçu en Allemagne, des conditions de vie meilleures, de l’école pour les enfants et de l’espoir de s’en sortir. « Pourquoi est-ce qu’ils sont si bien traités en Europe alors qu’ici nos enfants doivent quitter l’école pour gagner de l’argent ? » lâche Fatima, amère.
L’argent pour se nourrir, se soigner, habiller les enfants et les envoyer à l’école et peut-être un jour s’en aller, l’argent et surtout son absence qui se fait cruellement ressentir. « Lorsque nous avons quitté la Syrie il y a un peu plus de trois ans, nous avons vendu la voiture et le magasin. Grâce à ces économies et à l’aide humanitaire, nous pouvions nous en sortir, mais aujourd’hui nous n’avons plus rien. Et voilà qu’on nous coupe l’aide, alors que ça fait deux mois que nous n’avons pas payé le loyer. Heureusement que nos voisins jordaniens nous soutiennent. » L’aide dont parlent les deux femmes correspond aux coupons alimentaires distribués par le Programme Alimentaire Mondial (PAM). Au mois d’août 2015, plus de 200 000 réfugiés syriens parmi les plus vulnérables ont vu le montant de cette aide passer de 28 à 14 Dollars par personne et par mois. « Ce n’était déjà pas facile avant mais désormais on ne peut rien acheter d’autre que du riz, du sucre et de l’huile », se désole Watfa. Son mari n’est pas là aujourd’hui. Elle espère qu’il a trouvé un petit boulot et surtout qu’il ne s’est pas fait arrêter par la police. Les syriens n’ont pas le droit de travailler sans permis en Jordanie et risquent une arrestation voire la déportation vers leur pays d’origine dans le pire des cas. Cette situation provoque l’ire de nombreuses familles qui n’ont aucune possibilité de subvenir elles-mêmes à leurs besoins.

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©Gaelle Sundelin

Maiada ne peut même pas compter sur son époux pour gagner un peu d’argent sur un chantier. Ce dernier l’a quittée au début du conflit et a fui aux Emirats Arabes Unis. Peu après, elle a rejoint la Jordanie avec ses trois enfants et vit dans les faubourgs d’Irbid avec son frère et son épouse. Pour elle, c’est une évidence, les coupes du PAM sont la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. « Les gens n’étaient pas forcément heureux avant, mais ils parvenaient à s’en sortir entre l’aide et les petits boulots. Maintenant, les gens ne parlent que de partir en Europe, mais comment pourraient-ils y parvenir alors qu’ils n’ont même pas de quoi se payer à manger ? ». Le cadet de ses enfants, Mohammed âgé de 13 ans, jette un regard furtif dans la pièce avant de disparaître. Sa mère fixe la porte entrouverte: « Si tous les Syriens parlent de l’Europe, c’est que c’est forcément mieux mais je me sens en sécurité ici. Et mes enfants ont peur, ils ont vu assez de morts en Syrie, il suffit qu’il y ait des feux d’artifice dans la rue pour qu’ils sursautent et se mettent à trembler, comment pourrais-je leur imposer un tel voyage ? » Pour Maiada, la seule voie possible est celle du retour en Syrie, un chemin que de plus en plus de réfugiés prennent malgré les risques. Mais là encore, c’est une destination qu’elle s’interdit pour le bien-être de ses enfants.

« Ils ont fui la mort et c’est tout ce qu’ils ont eu en retour »

Les dangers de la route et les conditions d’accueil inégales en Europe ne découragent pas les milliers de réfugiés dont la situation ne cesse de se dégrader. Et ce ne sont pas non plus les messages des autorités hongroises ou danoises, publiés dans certains journaux arabes et les invitant à rester là où ils sont, qui les feront changer d’avis. Mais s’ils sont nombreux à songer au départ, encore faut-il le pouvoir, ce qui n’est pas souvent le cas pour des familles avec des personnes en situation de handicap ou dépourvues de ressources, ni celui de femmes seules avec des enfants ou de personnes trop âgées. Pour elles, impossible de payer des billets d’avion jusqu’en Turquie ou de tenter une périlleuse traversée de la Syrie. Fatema pointe du doigt les canapés sur lesquels nous sommes assis : « vous voyez le mobilier autour de vous ? Il appartient à des gens qui ont voulu traverser la Méditerranée, on n’a jamais eu de leurs nouvelles. Ils ont fui la mort et c’est tout ce qu’ils ont eu en retour ».
C’est le cas des cousins de Laila qui ont tenté de fuir Hama il y a plusieurs mois, lorsque la majorité des réfugiés tentaient la terrible traversée depuis l’Egypte ou la Libye. Pour la jeune femme, tenter un tel périple avec ses cinq enfants est inconcevable mais ça ne l’empêche pas d’y songer, d’imaginer une vie loin de la guerre et de la pauvreté. Malheureusement, sa demande de réinstallation auprès du Haut Commissariat aux Réfugiés a été déboutée. Alors dès qu’elle le peut, elle passe du temps dans le bâtiment où ACF met en place des groupes de soutien : « ça me donne l’opportunité de rencontrer d’autres femmes qui vivent la même chose que moi. Nous parlons de notre vie bien sûr, mais aussi de nos envies d’ailleurs. » Elle y a beaucoup appris sur les différentes routes vers l’Europe, les risques, les prix : « il y a vraiment beaucoup de gens qui s’apprêtent à partir, ils vendent tout ce qui leur reste. »


Photographie en une : © Florian Seriex / ACF

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