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À la Une
Arnaud Phipps, directeur des programmes d’Action contre la Faim au Yémen, a chroniqué les premiers jours de son arrivée dans le pays, début août. Une partie des équipes a été évacuée au tout début de l’intervention militaire dirigée par l’Arabie Saoudite fin mars 2015. Basées en Jordanie et à Djibouti, les équipes ont opéré un temps à distance et en soutien aux collègues d’Action contre la Faim encore présents au Yémen. Elles ont été redéployées dès que possible au Yémen et y font actuellement des rotations entre Sanaa et Hodeida, et Djibouti. Arnaud Phipps s’est rendu à Aden, la grande ville portuaire du sud du Yémen, lourdement frappée par les bombardements et les combats, pour y rouvrir la base d’ACF.
C’est de l’aéroport Queen Alia International à Amman que je pars pour rejoindre la majeure partie des expatriés de la mission Yémen basés à Djibouti, d’où ils travaillent lorsqu’ils ne sont pas sur place.
Action contre la Faim a installé à Djibouti sa base arrière pour ses programmes au Yémen, de même qu’un hub logistique qui permet d’appuyer ses opérations dans un pays secoué par la guerre depuis la fin du mois de mars. Cette base arrière représente un expatrié à temps plein, 6 employés locaux nouvellement recrutés, une dizaine d’expatriés qui opèrent entre le Yémen et Djibouti ainsi qu’un nombre important de travailleurs journaliers qui préparent les kits hygiène qui seront distribués au Yémen. Ce dispositif a été mis en place rapidement au début de la crise et grandement facilité par les équipes d’ACF présentes à Djibouti, où nous gérons d’autres programmes depuis 2011.
Quatre heures de réunion de coordination sont nécessaires. Cela faisait plus de trois semaines que toute l’équipe ne s’était pas retrouvée au même endroit et les points à traiter sont nombreux pour gérer des opérations complexes dans un pays en guerre. Il faut aussi préparer la mission à Aden. Voilà 4 mois que les expatriés ont quitté la base ACF d’Aden qui avait été réquisitionnée par les Houthis, groupe rebelle chiite opposé aux forces gouvernementales, puis pillée (véhicules, ordinateurs, imprimantes, coffre-fort volés, locaux saccagés). Un nouveau coordinateur terrain aguerri aux urgences et moi-même partirons le lendemain en bateau, pour gagner les côtes yéménites via le golfe d’Aden. Même si la ville a été reprise aux Houthis par la Résistance Populaire, aidée des forces émiriennes, le désordre et la criminalité semble encore régner, et rien ne peut être laissé au hasard. Des membres d’Al-Qaida sont dans la ville, ennemis d’hier, ils ont combattu aux côtés de la Résistance Populaire contre les Houthis. Mais ils restent imprévisibles. Les contacts sur place doivent être solides et les moyens de communication, renforcés. Depuis 4 mois, nos équipes luttent pour rester en contact avec ceux restés au Yémen, qui continuent à travailler comme ils le peuvent, de chez eux ou depuis des cyber-cafés quand il y a de l’électricité.
Poursuite des réunions et derniers briefings, derniers contacts avec le Comité International de la Croix Rouge et Médecins sans Frontières, qui sont les deux seules organisations à avoir continué à travailler avec des expatriés à Aden, aux plus violentes heures des affrontements.
Nous partons en direction du port de Djibouti. Un bateau affrété par le CICR et MSF va transporter 13 travailleurs humanitaires, dont deux d’Action Contre la Faim, à destination d’Aden. Treize heures sont nécessaires pour rejoindre la ville yéménite, de 20 heures à 9 heures du matin. Nuit noire. Nous sommes sur un bateau traditionnel de la région, un boutre. Si la mer est calme, c’est parfait, si elle est agitée c’est la douche assurée. Mieux vaut s’allonger et essayer de dormir plutôt que de risquer de tomber à la mer. Cette fois, le ciel est clément et même au beau milieu de la nuit, en pleine mer, il fait 30⁰C. Malgré la nuit noire, nous nous sentons en sécurité.
Arrivée plus tardive que prévue, vers 10 heures du matin. Le bateau a dû attendre des autorisations pour approcher l’un des six ports d’Aden. Le CICR et MSF ont depuis le début de la crise préféré le terminal pétrolier, en zone contrôlée par la Résistance Populaire, et par conséquent non ciblé par les bombardements aériens de la coalition menée par l’Arabie Saoudite.
Alors que nous arrivons à une dizaine de kilomètres d’Aden, un hélicoptère Chinook passe à côté de nous à très basse altitude. Quel matériel vient-il délivrer en volant si bas ? Je m’interroge. La résolution 2216 des Nation unies, relative à la mise en place d’un embargo sur les armes, s’applique-t-elle à tous ?
Nous débarquons enfin. Les personnes que nous croisons sur le chemin semblent plus ou moins détendues, malgré le contexte. Il faut faire le tour de la ville pour rejoindre la base d’ACF, soit une vingtaine de kilomètres depuis le terminal pétrolier et franchir 16 check-points. Nous ne sommes jamais contrôlés, je sens de la bienveillance dans les regards par rapport à la présence renouvelée de travailleurs humanitaires internationaux.
Si certaines parties de la ville ont été préservées, le ramassage des ordures n’a pas été fait depuis des mois et la crasse s’entasse aux coins des rues, dégradant encore les conditions sanitaires. Puis c’est l’arrivée près de l’aéroport qui était contrôle par les Houthis. C’est un cimetière de véhicules blindés, les uns éventrés, les autres abandonnés. Des véhicules blindés tout neufs arborent le drapeau des Emirats Arabes Unis. C’est bien la confirmation qu’il n’y a pas que l’aide humanitaire qui arrive aujourd’hui à Aden.
Le bureau d’ACF porte les stigmates de la visite des Houthis. Les équipes ont repris progressivement le chemin du bureau mais il faut encore tout nettoyer et tout remettre en ordre. En pénétrant dans le bâtiment, mon pied heurte un petit objet métallique. Une douille gros calibre provenant d’une arme de guerre.
Nous passerons la nuit dans le bureau, il est donc important de s’assurer de la sécurité des lieux. Le représentant de la Résistance Populaire de la zone nous assure de sa protection. Ses hommes du check-point le plus proche veilleront à ce que personne ne rode dans les environs durant la nuit. Le quartier est un champ de ruine, presque désert.
Début du week-end, il sera difficile de rencontrer d’autres personnes ce jour-là. Impossible également d’aller dans les magasins encore ouverts de la ville pour remplacer le matériel volé ou endommagé car c’est jour de relâche. Toutefois, le leader de la Résistance Populaire du district passe vers 9h30 pour nous saluer et nous expliquer quels sont les besoins les plus urgents. D’emblée, nous comprenons que le contexte est extrêmement politisé. Notre présence à Aden, puisque nous sommes les premiers expatriés à part MSF et le CICR, est interprétée comme un soutien au mouvement de la Résistance Populaire et le risque de récupération politique est grand. Il faut et il faudra sans cesse rappeler les principes d’indépendance et de neutralité d’ACF. Nous intervenons à Aden et nous continuerons à intervenir dans le nord du pays, contrôlé par les Houthis.
Les besoins sont classiques dans ce type de contexte: électricité, eau, hygiène, santé, nourriture. Ce point vient en dernier, et le mandat d’ACF sur la nutrition intéresse. Oui, il faut soigner les enfants et s’assurer de leur statut nutritionnel. Le leader politique convoque immédiatement à notre bureau le Directeur du District, non moins politisé. Les informations sont plus précises et nous nous rendons compte que les choses commencent à s’organiser d’elles-mêmes au niveau local. Il nous faudra rencontrer plus tard dans la semaine les techniciens en eau et assainissement, et les représentants du Ministère de la Santé.
A midi, la prière rappelle nos invités et le bureau se vide. Il faut dès à présent réfléchir à des axes d’intervention qui seront validés en fonction des discussions et des observations que nous ferons dans les prochains jours.
Le coffre-fort et le matériel informatique doivent être remplacés, la connexion internet, rétablie, et les serrures des portes, changées. La priorité de la journée reste cependant de trouver du fuel pour faire fonctionner le générateur et avoir de l’électricité au moins pendant les heures de bureau. L’équipe a réussi à se procurer 40 litres de diesel avant notre arrivée mais il ne faut pas moins de 60 litres par jour pour rendre la base d’ACF fonctionnelle. Devant toutes les stations-service d’Aden, les files de voitures s’allongent et des heures d’attente sont nécessaires pour faire le plein. Le point positif est que le prix du carburant a été rétabli à son niveau d’avant-guerre mais pourquoi autant de pénurie alors que les camions citernes sont à nouveau disponibles et que les stocks de la raffinerie à l’ouest d’Aden sont censés être pleins ? C’est à se demander si certains ne souhaitent pas maintenir un marché noir qui a été extrêmement lucratif durant le conflit.
En nous rendant dans la partie de la ville qui a été la moins touchée par les combats, et où les magasins sont encore ouverts, nous faisons un détour pour découvrir l’ampleur des dégâts dans notre quartier, Al Maksar, et dans le quartier Crater, le plus ciblé par les frappes aériennes. Il est 10h du matin, un samedi normalement animé et pourtant, tout est désert. Une ville fantôme habitée par des chats incroyablement maigres et des corbeaux qui se nourrissent dans les ordures jonchant la ville. En arrivant à Crater, j’ai l’impression de revenir 5 ans en arrière lorsque j’arrivais à Port-au-Prince en Haïti, après le tremblement de terre du 12 janvier 2010. La même désolation ou presque, des immeubles effondrés, des gravats, des voitures ensevelies sous des blocs de bétons. A la différence près qu’il ne s’agit pas d’une catastrophe naturelle, mais d’actes de guerre décidés par des hommes à la tête de gouvernements.
L’un des membres de l’équipe me raconte qu’il n’a pas voulu quitter sa maison familiale héritée de son père et située à Crater. Il a ainsi passé 40 jours calfeutré chez lui sans eau courante, ni électricité avec des températures atteignant 35 degrés Celsius, en priant pour qu’aucune explosion n’atteigne sa maison. J’éprouve beaucoup de respect pour cet homme. Pour soulager les souffrances psychologiques des travailleurs humanitaires restés au Yémen pendant toute cette période, ACF a mis en place un soutien psychologique par téléphone en langue arabe depuis Paris, grâce à deux psychologues, un homme et une femme. Plusieurs personnes y ont fait appel. Par ailleurs, nous avons maintenu la totalité des salaires de toutes les personnes travaillant sur la base d’Aden même lorsqu’ils n’étaient pas en mesure de se rendre au bureau.
Dans le quartier Al Mansoura, au nord de la ville, la vie semble dynamique. Les magasins sont ouverts, pas toujours bien achalandés, mais tout semble fonctionner. Il y a beaucoup de monde, le quartier accueille une grande partie des 80 000 personnes déplacées d’Aden. Beaucoup d’enfants courent dans les rues. Aucun appartement n’est resté vide, et les familles s’y entassent en nombre. Les rideaux métalliques des boutiques fermées avant la crise laissent entrevoir des traces de squat. Quelques écoles accueillent aussi des personnes déplacées. Mais la vie reprend vite le dessus et on a l’impression que la reprise sera rapide. Pour les familles plus vulnérables, elle sera plus longue c’est pourquoi la présence d’organisations humanitaires est nécessaires dans les périodes post-crise.
Nous avons pu trouver tout ce que nous cherchions et cela confirme la disponibilité des biens de consommation. Cependant, la communication reste le principal problème à Aden : Internet n’est absolument pas disponible, sous aucune forme.
Nouvelle nuit dans le silence assourdissant d’un quartier désert. Le silence fait place à des rafales de mitraillette vers minuit, à quelques mètres de la base d’ACF. Depuis la libération de la ville par la Résistance Populaire, l’occupation favorite des jeunes après la consommation de qat, une feuille d’arbuste connu pour son effet stimulant et euphorisant, est de jouer avec leur kalachnikov.
C’est le grand jour de réouverture de la base d’ACF. Tous les bureaux ont été nettoyés, le mobilier renversé pendant le cambriolage a été remis en place, et les dossiers sont rangés.
Première réunion avec toute l’équipe. C’est la première fois depuis 4 mois qu’ils peuvent s’exprimer et je ressens un grand soulagement de leur part. Plusieurs fois, ils se sont demandés s’ils allaient vraiment conserver leurs emplois, si cette guerre allait prendre fin rapidement… Ils sont soulagés qu’on vienne les soutenir car ils savent que des milliers de personnes comptent eux pour avoir accès à de l’eau potable, à des produits d’hygiène, à de la nourriture ou des produits thérapeutiques pour soigner leurs enfants malnutris.
Au cours de la réunion, alors qu’on explique la stratégie dans cette phase de post-crise, des membres d’ACF arrivent au compte-goutte. Ils viennent des gouvernorats voisins de Lahj et Abyan où nous menons des programmes en nutrition, en sécurité alimentaire ainsi qu’en eau et assainissement. Ils sont partis de chez eux à 6 heures ce matin et souhaitent participer à la réunion du bureau d’Aden. La réouverture de la base d’Aden est symbolique et synonyme d’espoir pour tous.