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Santé mentale RCA © Adrienne Surprenant
pour Action contre la Faim

Témoignages

République centrafricaine

Un pays traumatisé et un manque de personnel formé

Depuis le second semestre de 2016, la dynamique des retours à Bangui, amorcée depuis novembre 2015 s’est intensifiée. Ce retour est propulsé par plusieurs causes, la fermeture progressive des sites de déplacés de la ville et l’augmentation de la couverture et du type d’assistance humanitaire à l’endroit des personnes retournées. La diminution des incidents de sécurité dans les quartiers a également encouragé la population à retourner dans la capitale.

La répétition des chocs socio-politiques a sévèrement affecté la capacité de l’Etat à fournir des services de santé basiques de qualité. Malgré des besoins exponentiels, le volet Santé Mentale n’apparait pas parmi les priorités du gouvernement. Aucune des politiques nationales développées n’est à ce jour opérationnelle et il n’existe pas de législation spécifique concernant la santé mentale. Au niveau national, les capacités existantes en santé mentale se limitent à l’équipe disponible dans l’hôpital psychiatrique de Bangui. A l’Université de Bangui, un cursus en psychologie a été introduit en 2015, pour les filières de sciences sociales qui peuvent intégrer une licence en psychologie.

 

Les lacunes du système en place ne permettent pas de répondre aux besoins et aucune structure d’État n’offre des services de prise en charge des personnes souffrant de traumatisme, ou en état d’extrême souffrance psychologique.

 

Répondre aux besoins 

 

Les besoins des personnes en termes de soins psychologiques sont particulièrement importants (traumatismes, dépressions, risques de décompensation, tendances suicidaires). Environ 60% de la population de Bangui et sa périphérie, présentent des symptômes de traumatisme et nécessitent un suivi psycho-social adapté et immédiat. Cette prévalence concerne les deux sexes mais certaines études révèlent une plus grande vulnérabilité chez les femmes. Le risque de développer un trouble post traumatique pour une femme est alors 4,39 fois plus élevé que pour un homme.

Pour les populations déplacées on estime à 100% le besoin de soutien. Le déplacement forcé induit chez l’individu une rupture et un choc pouvant avoir des conséquences plus ou moins lourdes sur leur psychisme.

A travers nos programmes en santé mentale notre objectif est de soutenir et pérenniser les dynamiques de retour à Bangui à travers des mécanismes sociaux, économiques et de protection adaptés et renforcés, au sein des 3ème, 5ème arrondissements et Bimbo à Bangui.

Action contre la Faim intervient dans le cadre du résultat « Les hommes, les femmes et les enfants dans les quartiers de retour ont accès à des services et des mécanismes visant à soutenir leur résilience psychologique ».

Les activités menées par Action contre la Faim sont les suivantes :

  1. Séances de psychoéducation pour 2 000 personnes bénéficiant du programme AGR (activités génératrices de revenus)
  2. Soutien psychologique pour 1 400 personnes en détresse bénéficiant du programme AGR
  3. Formation et supervision formative aux Premiers Secours Psychologiques de 80 personnes clés de la communauté et 20 agents de santé du gouvernement
  4. Formation pratique de 2 étudiant(e)s en psychologie à l’Université de Bangui et de 2 agents de l’Association Obouni pour la prise en charge du psycho-traumatisme

A l’issue de la séance de psychoéducation, les patients nécessitant un soutien psychologique sont invités à participer au protocole de prise en charge psychologique groupale ou individuel. Le protocole choisi est un protocole élaboré par l’Organisation Mondiale de la Santé nommé « Gestion de Problème + », constitué de 5 séances distinctes devant s’échelonner sur 5 semaines, chaque séance durant entre une heure et une heure et demie.

Dans le cadre de ce projet, Action contre la Faim adapte celui-ci pour la première fois à une prise en charge groupale, ce protocole étant normalement individuel.

Nous avons interviewé une patiente au passé difficile qui a suivi une prise en charge psychologique grâce à notre programme.

 

Faire face au trauma

 

Pour ne pas mettre en danger cette bénéficiaire, les précisions factuelles de son témoignage ont été supprimées et son nom remplacé par celui de Madame B. Ses mots ont été exactement retranscris.

Madame B. est une femme de 37 ans, elle vit dans le 3ème arrondissement de Bangui. Elle a d’abord été identifiée par ACTED et a pu bénéficier d’Activités Génératrices de Revenus. Madame B a été intégrée au sein du pôle C au sein duquel les personnes présentant les vulnérabilités socio-économiques les plus importantes sont inclus. Elle a ensuite été contactée par Action contre la Faim en août 2019 pour participer à une séance de psychoéducation, à l’issue de laquelle son bien-être a été évalué. Au vu du score obtenu à l’échelle de mesure de bien-être dite WHO5. Nous l’avons encouragée à intégrer une prise en charge psychosociale groupale, à raison de 5 séances d’une heure et demi sur 5 semaines, qu’elle a suivi jusqu’à la fin.

Lors de la première séance, axée sur le partage de témoignages pour normaliser les symptômes de stress quotidiens, Madame B. s’est présentée avec un foulard, ses cheveux non tressés en dessous. La patiente est restée longtemps silencieuse, pleurant de manière continue à l’écoute des témoignages des autres bénéficiaires. Elle a finalement pris la parole et s’est confiée un événement traumatique s’étant déroulé en 2014.

Santé mentale RCA © Adrienne Surprenant
pour Action contre la Faim

© Adrienne Surprenant
pour Action contre la Faim

« J’ai quitté la République Centrafricaine pour me réfugier au Tchad, chez ma mère avec mes cinq enfants. A l’époque mon dernier enfant n’avait que deux mois après sa naissance. Quelques jours plus tard, (…) mon époux a été lynché à mort devant quelques dizaines de personnes. (…) Ces lynchages (…) à coup de pied, pierre et de couteau l’ont mené à une mort lente et douloureuse. Le corps de mon mari a ensuite été démembré puis brûlé jusqu’à ce que (…) la foule soit dispersée par du gaz. (…)

Ils l’ont accusé d’être un rebelle et un traître. A ce moment-là, j’étais encore au Tchad, je n’ai pu voir le corps de mon mari ni enseveli. J’ai appris la nouvelle quatre jours plus tard par téléphone et sur les réseaux sociaux qui publiait la scène. J’ai vu la scène à la télé (…). J’étais sous le choc, je n’arrivais pas à comprendre ce qui s’était passé après notre départ pour le Tchad. (…)

Après, je n’ai même pas eu accès au compte bancaire de mon mari. Sa pension n’a pas été versée par le Trésor Publique pour me permettre de prendre soin des cinq enfants à ma charge. J’ai mené des démarches jusqu’au Tribunal de Grand Instance de Bangui, mais sans suite. Malgré toutes mes demandes, elle est restée bloquée. Cela m’a fait réfléchir, j’en suis venue à la conclusion que la loi n’existe pas. (…) »

 

Surmonter les épreuves

 

Madame B. avait emmené avec elle les papier administratifs relatifs au compte bancaire et à la pension de son époux qu’elle a éparpillé avec colère au milieu du groupe. Tandis qu’un Travailleur Psycho-Social continuait la session, un second a pris la jeune femme à l’écart afin que celle-ci puisse se calmer, avant de rejoindre le groupe pour les exercices de relaxation et d’étirement.

La patiente s’est reconnue dans les symptômes d’anxiété suivant : je ne dors pas bien la nuit, j’ai des maux de tête intenses, je pense beaucoup à mes enfants, je n’arrive pas à bien manger, je m’énerve souvent.

La séance suivante, Madame B. était calme et a pu suivre intégralement la séance, portant sur la manière dont gérer les problèmes et s’organiser.

Madame B. a expliqué que sa seule activité génératrice de revenus actuelle était la vente ambulante de beignets qu’elle avait pu lancer grâce à un don de 2,000 XAF donnée par un de ses parents. Madame B a expliqué que son souci le plus important était que ses enfants n’étaient plus scolarisés depuis maintenant deux ans, faute de pouvoir payer les frais scolaires. D’autres participants la connaissant ont expliqué que Madame B. éprouvait des difficultés dans le cadre de son activité commerciale, celle-ci ayant une attitude colérique face aux client(e)s lui posant des questions sur les prix de ses beignets. Dans le cadre de l’appui d’ACTED, Madame B. sera accompagnée pour développer une activité de petit commerce.

Pendant de la séance visant à rompre le cycle de mauvaise humeur, Madame B. a expliqué que la mise en pratique à la maison des exercices de relaxation et de pleine conscience l’avait beaucoup aidée à retrouver le sommeil, ce qui était un soulagement au vu de ses nombreuses insomnies.

La 5ème séance  « Comment rester en bonne santé et se tourner vers l’avenir » permettait également de revenir sur l’intégralité des sessions précédentes. Madame B. s’est exprimée sur les activités auxquelles elle avait participé.

 « Je remercie beaucoup Action contre la Faim pour mettre à notre disposition de pareilles activités ainsi qu’à ses équipes par des conseils y compris l’exercice de relaxation qui me soulage beaucoup et m’aidera à gérer le stress. Avant, je passais la journée seule dans la maison avec les enfants, sans m’habiller, ni me tresser les cheveux, sans savoir quoi faire. C’était difficile. En l’espace d’une journée je pensais à me suicider, à partir et voyager ou bien à abandonner mes enfants. Mais à présent ma situation s’est améliorée grâce à ce groupe. Je n’ai plus de maux de tête intenses, je peux à nouveau dormir. Le matin j’ai la force et l’envie de m’habiller, me tresser et faire mes activités de beignet, ainsi qu’a socialiser avec d’autres personnes.

Mon grand problème reste la scolarisation de mes enfants. (…) A la fin de notre échange je vois ce programme comme un lieu où je me sens en sécurité. Est-il possible de continuer cette activité pour d’autres personnes qui ont le même problème et qui souffrent dans différents quartiers au km5 ? ».

 

Résultats

 

Les échelles de bien-être (WHO5 et Psycholops) passées en séance 1 sont repassées en séance 5 afin de mesurer l’effet de la prise en charge sur le bien-être des bénéficiaires. En corrélation avec son témoignage, le passage des échelles montre que Madame B. a pu améliorer son bien-être grâce à la prise en charge psychologique.

Depuis début 2017, à travers des évaluations et la mise en place d’outils de coordination, les acteurs (humanitaires, acteurs du gouvernement, autorités locales et autres) se sont réunis pour développer une meilleure compréhension de cette situation. Adapter leur action pour répondre au mieux aux besoins des personnes concernées en lien avec les instructions du Plan National de Relèvement et de Consolidation de la Paix 2017 – 2021 et de manière inclusive, holistique afin de ne pas aggraver les risques de tensions entre les groupes.

« Le projet « Bon retour à la maison – Doni Kiringo na kodoro » dont a bénéficié Madame B. est financé par le fonds Bêkou (espoir en Sango), le Fonds fiduciaire européen pour la République Centrafricaine, mis en œuvre par le consortium Acted/Impact/DRC et Action contre la Faim. »

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