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À la Une
Avril 2008 : nombre de pays s’embrasaient suite à une forte hausse du prix des denrées alimentaires provoquant des « émeutes de la faim » sans précédent. Un an après et au vu de la baisse du prix des denrées sur la fin de l’année 2008, ACF a mené l’enquête – notamment dans ses pays d’intervention – afin d’obtenir un bilan de la situation actuelle et de pouvoir dessiner les grandes tendances des mois à venir. Ce bilan reste très inquiétant.
Après la mauvaise production céréalière mondiale de 2007, la production de 2008 a atteint des chiffres record. En parallèle, la chute des prix du pétrole et donc des coûts à l’exportation ainsi qu’un moindre investissement dans les agro-carburants a entraîné une baisse du prix des denrées alimentaires sur la fin de l’année 2008.
Mais l’année 2009 voit les cours de blé notamment repartir à la hausse : la production 2009 s’annonce en effet moins conséquente que celle de 2008. La cause : du fait de la baisse des cours sur la fin de l’année dernière, les producteurs ont réduit leurs semis. Ainsi, aux Etats-Unis et en Europe, malgré des conditions climatiques favorables, la réduction des surfaces cultivées devrait faire baisser notablement la production de blé. Les perspectives de l’Asie ne sont pas meilleures : la moitié des surfaces de la Chine est touchée par la sécheresse tandis que l’Inde doit faire face à des précipitations inadéquates.
A l’échelle locale, des pays restent à surveiller : en raison de l’instabilité politique ou des aléas climatiques, certaines productions comme au Kenya, Libéria, au Zimbabwe, ou en Afghanistan pourraient être sérieusement compromises, et donc la sécurité alimentaire de leurs habitants.
La poursuite du système de spéculation et la fréquence des aléas climatiques achèvent d’entretenir une pression sur la production mondiale.
Avec le renflouement des stocks mondiaux à l’automne 2008, les cours des produits alimentaires ont entamé une baisse sur la fin de l’année. Mais depuis le mois de janvier, les cours du blé, du maïs et du riz sont repartis à la hausse.
De manière générale, les produits alimentaires restent beaucoup plus élevés que sur la moyenne 2003-2007 surtout en Afrique, en Asie et au Moyen Orient.
La baisse des prix à la consommation n’a pas été proportionnelle à la hausse continue des prix depuis 2003 et même 2007. Le prix des produits alimentaires restent donc bien plus élevés qu’avant la crise. Ainsi, en Haïti, entre décembre 2007 et décembre 2008, le prix du riz a augmenté de 51.8% et celui du maïs de 45.3%. Sachant que ce pays subit déjà les effets conjugués d’une déstructuration de l’Etat, du passage de plusieurs cyclones et de la diminution de l’argent envoyé par la diaspora haïtienne des pays touchés par la crise économique, la situation est très précaire pour des centaines de milliers d’Haïtiens. Si les prix devraient continuer à baisser dans certaines zones, l’impact pour les ménages reste très important.
Au Bangladesh, les familles les plus vulnérables dépensent jusqu’à 60% de leurs revenus pour le seul achat du riz. Cette baisse de leur pouvoir d’achat a de sérieuses conséquences sur la diversité alimentaire et le statut nutritionnel des habitants dans un pays où les taux de malnutrition sont déjà particulièrement inquiétants.
Même, au Burkina Faso, au Togo ou au Tchad les prix connaissent une hausse sur les trois derniers mois. Ainsi, par exemple, au Burkina Faso, entre janvier et février, les prix à la consommation ont augmenté de 8% pour le sorgho blanc et de 6% pour le maïs blanc. Ceci tient notamment au fait que les commerçants ne sont pas encore prêts à céder les céréales à bas prix alors qu’ils les ont achetées au prix fort. La situation est particulièrement préoccupante en zone urbaine et périurbaine où les ménages dépendent totalement des marchés pour se nourrir : n’arrivant déjà plus à acheter du riz importé trop cher, ils ont tendance à se reporter sur ces produits de substitution, mais provoquent par conséquent une inflation sur ces produits.
Le premier constat à l’échelle mondiale est que le nombre de personnes souffrant de la faim est passé de 854 millions de personnes en 2007 à 963 millions en 2008 et que ce chiffre risque sans doute de dépasser le cap faramineux du milliard de personnes en 2009 selon la FAO, soit un sixième de la population mondiale.
Dans les pays les plus dépendants des importations et donc les plus vulnérables dans cette crise (Libéria, Afghanistan, Haïti, Burkina Faso, etc.), les populations ont été obligées de réduire leur alimentation et la qualité de leur régime alimentaire.
Ainsi, en Centrafrique, à Bangui, les communautés ont réagi en se tournant vers des aliments de second choix, en réduisant la diversité de leur régime alimentaire et en diminuant la taille des portions. Cette stratégie peut entraîner le développement de carences alimentaires pouvant être extrêmement graves – pour le développement physique et mental des enfants notamment – ; voire de la malnutrition à long terme.
En Ethiopie, à l’inverse, face à la hausse des prix de la nourriture, les familles vulnérables ont dû vendre une partie plus importante de leurs ressources (bétail le plus souvent) pour acheter de la nourriture. Cet appauvrissement progressif les rend plus vulnérables à des crises futures. Il est toujours extrêmement long de récupérer de pareilles pertes.
La crise alimentaire a donc précipité plus de personnes dans la faim, entraîné des carences alimentaires aux dégâts irrémédiables et affaibli durablement des familles déjà très vulnérables.
Un nouveau phénomène très inquiétant se développe rapidement depuis la crise alimentaire : l’accaparement de terres de pays « pauvres » par des pays importateurs « riches » ou des investisseurs privés. Ces pays importateurs n’ont plus confiance dans le marché suite notamment à la hausse des prix très soudaine de 2008 : ils se tournent vers les pays en développement, pour acquérir des terres cultivables afin de sécuriser leurs approvisionnements en denrées agricoles et ainsi de se prémunir des tensions possibles qui pourraient frapper les marchés mondiaux.
En délocalisant la production de denrées alimentaires offshore, les gouvernements peuvent garantir leur sécurité alimentaire tout en ayant un approvisionnement direct qui leur permet de s’affranchir des coûts d’importation liés aux intermédiaires. Une dépêche de l’agence Reuters annonçait récemment l’acquisition par un groupe saoudien de 2 millions d’hectares de terres en Indonésie, destinées à la production de riz. Des pays du Moyen Orient ou d’Asie sont ainsi devenus propriétaires de millions d’hectares en Ouganda, au Soudan, au Cambodge, au Pakistan pays n’étant pas en situation d’autosuffisance alimentaire.
Par ailleurs, les terres agricoles suscitent également de plus en plus d’intérêt pour des investisseurs privés attirés par les perspectives du marché de l’agriculture. L’effondrement boursier dû à la crise économique a poussé les investisseurs à trouver de nouvelles sources de placement. Dans un contexte où les prix des produits agricoles flambent et où ceux des terrains restent bas, les terres cultivables sont vite apparues comme des placements rentables. De fait, des nombreux groupes privés des pays du Nord se sont à leur tour lancé dans la course à l’achat de terres.
Ainsi, le fonds d’investissement américain Black Rock vient d’annoncer la constitution d’un fonds spéculatif agricole de 300 millions de dollars, dont 30 millions sont dédiés à des acquisitions de terre. Le britannique Dexio Capital souhaite acheter 1,2 million d’hectares de steppes russes. La société française Louis Dreyfus Commodities qui possède 60 000 hectares au Brésil est actuellement intéressée par l’achat ou la location de terres au Nigéria et en Afrique subsaharienne.
Cette pratique aux relents néocolonialistes pourrait avoir des conséquences désastreuses et ce sont encore une fois les populations les plus vulnérables qui en subiront les conséquences. Car à terme, l’accaparement des terres agricoles risque de rendre l’accès aux terres difficile aux petits exploitants, car ils ne sont financièrement pas en mesure de rivaliser avec les groupes d’investisseurs.
De plus, dans beaucoup de pays d’Afrique, il n’existe pas de titres de propriété ainsi ce sont des milliers d’agriculteurs qui courent le risque de se voir tout simplement expropriés. Par ailleurs, ce sont souvent les terres les plus fertiles qui sont achetées/louées par ces investisseurs, il ne restera aux paysans locaux que les terres les plus difficiles à cultiver.
Cette pratique induit une disparition de l’agriculture paysanne au profit d’un modèle agricole intensif avec concentration des terres, modèle que l’on sait destructeur (en terme socio-économique et écologique).
Sur le court-terme la vente ou la location de terres peut paraître intéressante pour des Etats en développement ayant des difficultés économiques. Mais cette stratégie s’avère paradoxale, dans la mesure où beaucoup de pays cibles ne sont pas souverains alimentairement et sont donc eux-mêmes importateurs nets de denrées alimentaires. C’est donc la population locale qui risque de faire les frais de ces nouveaux contrats en payant beaucoup plus cher sa nourriture.
Ce mouvement met à jour un autre paradoxe. On dénombre parmi les pays accapareurs, nombre de gouvernements qui s’étaient prononcés en faveurs d’une libéralisation des échanges au cours du Doha Round. Or le fait de contracter des accords bilatéraux afin de court-circuiter le marché mondial est en contradiction totale avec leurs revendications.
Le 10 avril 2008, en pleine période d’émeutes de la faim, ACF appelait à la création d’un fonds spécial pour lutter contre la faim et la malnutrition. L’idée était rapidement reprise par la France notamment à travers l’idée d’un Partenariat Mondial pour l’Alimentation et l’Agriculture afin de renforcer la cohérence des politiques et la réactivité de la communauté mondiale en matière de sécurité alimentaire.
L’idée se concrétise lors du sommet de la FAO en juin 2008 au cours duquel les pays du G8 s’accordent pour mettre en place ce partenariat et en définissent les piliers :
Alors que cette idée de partenariat mondial recueillait l’attention et la mobilisation des acteurs politiques mondiaux pendant que la crise alimentaire faisait encore l’actualité, la crise économique et financière a totalement chassé cette problématique. Si ce partenariat n’a pas été abandonné officiellement, le troisième pilier exposé ci-dessus a été retiré du projet au cours du mois de mars. ACF déplore très fortement cet abandon d’une facilité financière : le partenariat mondial perd grandement son intérêt si aucune mesure concrète et notamment financière n’est mis en oeuvre. Cet abandon est représentatif à la fois de la démobilisation des acteurs politiques sur la crise alimentaire et des conséquences indirectes de la crise économique et financière des pays industrialisés sur les pays les plus pauvres et leur population.
Un an après des émeutes de la faim qui avaient pourtant réveillé l’opinion publique et politique sur le fléau et le danger de la faim, la menace d’une nouvelle crise reste très prégnante. Si un répit a été offert grâce à une production agricole 2008 record, les mêmes mécanismes qui ont mené à la crise sont toujours en place et le manque de mobilisation pour y remédier est total.
Le phénomène d’accaparement des terres est quant à lui extrêmement inquiétant pour la souveraineté alimentaire de beaucoup de pays en développement. La crise économique et financière a totalement chassé des agendas politiques le drame que vivent chaque jour des millions de personnes en Haïti, au Burkina Faso, au Bangladesh. L’urgence pour eux reste de trouver chaque jour à manger et à boire.
Une chose est sûre : si rien n’est fait pour mettre en oeuvre la lutte contre la malnutrition, 55 millions d’enfants de moins de 5 ans continueront d’être en danger. Le cap fatidique de 1 milliard de personnes souffrant de la faim est en train d’être passé : jusqu’à quand durera l’indifférence ?