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IMG_6473-min © Inès Olhagaray pour Action contre la Faim

À la Une

Tchad

Réfugiés au Tchad : les oubliés de la crise soudanaise

Quand le vent se lève, les tentes disparaissent dans un nuage de sable et de poussière. Les abris de fortune se délitent et des morceaux de bâche s’envolent, laissant certaines familles dans un dénuement total. Dans la zone d’arrivée des réfugiés, aux portes d’Adré, le temporaire est devenu permanent pour près de 200 000 Soudanais. Après avoir fui leur pays dans la précipitation, ils se sont installés ici dans l’espoir de pouvoir subvenir aux besoins de leur famille. Certains ont trouvé un petit travail en ville, d’autres cultivent des parcelles aux alentours. Adré, de par sa proximité avec la frontière soudanaise, est l’un des principaux points d’entrée des réfugiés au Tchad. Des centaines de Soudanais arrivent ici chaque jour, à pied ou en charrette. Certains ont quelques valises avec eux, d’autres n’ont que ce qu’ils portent sur le dos.

La province du Ouaddaï, qui n’a qu’un faible accès aux services de base, est l’une des plus vulnérables du pays. L’arrivée des réfugiés a exacerbé les besoins de la population locale et créé des tensions dans la ville, car certaines familles ont été installées sur des terres que les habitants d’Adré ne peuvent désormais plus cultiver. Difficile de trouver du terrain pour accueillir des centaines de milliers de réfugiés : les agences onusiennes et les autorités tchadiennes cherchent à les relocaliser vers des camps officiels établis en dehors de la ville mais l’initiative est ralentie par le sous-financement de la réponse humanitaire. Les nouveaux camps aménagés se trouvent beaucoup plus loin de la frontière et de nombreux réfugiés, comme Salma, refusent d’y aller. « Nous sommes venus ici en pensant trouver un refuge et voilà qu’on nous demande de repartir dans un camp, plus loin. Nous avons essayé de louer une maison en ville mais ça coûte 10 000 francs CFA et c’est difficile de payer. » Comme onze autres femmes ce jour-là, Salma participe au groupe de paroles mis en place par le programme santé mentale et soutien psychosocial (SMSP) d’Action contre la Faim. Assises en arc de cercle autour d’Agnès, la travailleuse psychosociale, les jeunes mères courbent la tête sous le poids des souvenirs et l’angoisse de pouvoir nourrir leur famille. Les femmes et les enfants représentent 89% des réfugiés soudanais au Tchad.

 

AGNES ET LES FEMMES-min © Inès Olhagaray pour Action contre la Faim

 

« Nous faisons toutes beaucoup de cauchemars. Nous avons perdu des membres de notre famille, nous sommes très stressées. Ici, on se sent à nouveau un peu comme chez nous, nous avons le soutien d’Agnès. Elle est devenue comme une sœur. Les enfants aussi se sentent mieux quand ils viennent. Dès qu’il fait jour ils demandent à se rendre à la clinique pour faire des activités » poursuit Salma. Soudain un orage vient interrompre la séance. Les mamans saisissent leurs enfants et les font grimper sur leur dos pour rejoindre leur tente et mettre rapidement leurs quelques affaires à l’abri.

A la clinique, les mères allaitantes sont invitées à assister à un atelier sur la santé mentale et la nutrition. Dans leur fuite vers le Tchad, nombre d’entre elles ont été exposées aux agressions. « Des mères qui ont été violées peuvent refuser de donner le sein à l’enfant à cause d’un tabou sexuel. Cela provoque un sevrage précoce qui va conduire à des problèmes de malnutrition » raconte Evariste Kajibwami Ndjovu, responsable programme SMSP à Adré. Drapées dans leurs longs voiles, une vingtaine de femmes l’écoutent attentivement parler. Il leur explique l’impact du stress sur l’allaitement. « Le fait que les femmes aient des problèmes de santé mentale fait qu’elles n’ont plus d’appétit. Les enfants qui sont encore allaités ne seront pas bien nourris et il y aura des conséquences sur leur état nutritionnel. »  

Djawahir, originaire d’Al-Genaïna, a quitté le Soudan avec ses trois enfants alors qu’elle était enceinte de 5 mois. Elle a vécu difficilement la fin de sa grossesse, à chercher un abri et de quoi nourrir ses aînés. Depuis la naissance de sa petite dernière, l’anxiété n’a cessé d’augmenter. « Parfois je n’arrive pas à allaiter mon bébé. C’est difficile pour moi. Les enfants ont besoin de nourriture et toi la maman tu ne fais que stresser, tu ne sais pas quoi faire. S’il y a quelque chose à manger tu leur donnes tout et tu ne gardes rien pour toi. »

 

ENFANTS SMSP-min © Inès Olhagaray pour Action contre la Faim

 

Les équipes d’Action contre la Faim se concentrent en priorité sur la santé mentale des femmes mais aussi des adolescentes et des enfants, qui font partie des populations les plus vulnérables. Les chants des plus jeunes résonnent dans la clinique. Ce matin ils sont une quarantaine à apprendre des comptines dont les paroles les encouragent à garder espoir et à prendre soin d’eux. Ça rit, ça se chamaille, ça se bouscule un peu aussi. L’atelier a des airs de cour d’école. « Les réfugiés soudanais ont souvent perdu des membres de leur famille, leur maison, leurs biens. Cela a provoqué des problèmes de santé mentale chez beaucoup de personnes. Avec les activités de groupe, on peut s’exprimer et recevoir de la chaleur humaine. Grâce à ça beaucoup de symptômes diminuent. Les enfants, qui pour certains ne dormaient presque plus, vont mieux eux aussi. » conclut Evariste Kajibwami Ndjovu.

Près de 10 000 réfugiés ont été enregistrés dans le programme SMSP à Adré depuis janvier 2024 et chaque mois le nombre de demandes de soutien psychologique augmente par centaines. Les moyens manquent toujours cruellement pour répondre à la détresse des centaines de milliers de réfugiés et à celle de la population hôte. A ce jour, la réponse humanitaire au Tchad n’est financée qu’à hauteur de 35%.

 

CAMP DE METCHE-min © Inès Olhagaray pour Action contre la Faim

 

Le camp de Metché se trouve à une cinquantaine de kilomètres de la ville d’Adré, à 1h30 de piste. Sur la route les troupeaux de chameaux et de chèvres s’éloignent au son du klaxon. Les équipes d’Action contre la Faim font le trajet plusieurs fois par semaine pour se rendre dans la clinique située au cœur de ce site où vivent 50 000 réfugiés.

Ce matin-là, la journée de Noël Djodinan Djimadoum, responsable programme Eau, hygiène et assainissement (WASH) démarre par la distribution de 120 kit NFI (non food items). Un groupe de femmes patiente dans une chaleur étouffante pour recevoir des marmites, des louches, des bidons, des seaux, du savon et autres objets qui leur permettront de collecter et stocker de l’eau, ainsi que de prendre soin de leur hygiène. « Une fois les lots récupérés, elles ouvrent les sacs et vérifient que tout est en bon état. Il y a un comité de gestion des plaintes juste à côté pour pouvoir réclamer ce qui leur manque. » explique Noël Djodinan Djimadoum. Les bidons cabossés et les marmites fendues sont remplacés, et les femmes reprennent le chemin de leur tente.

 

KIT NFI-min © Inès Olhagaray pour Action contre la Faim

 

S’approvisionner en eau est un défi quotidien pour les réfugiés. Action contre la Faim a mis en place six points de distribution d’eau alimentés par camion-citerne une première fois le matin à 7h, puis une seconde fois l’après-midi à 15h. Parfois le camion n’arrive pas. Parfois deux jours passent sans que l’eau ne coule du robinet. Le ratio d’eau chute alors à 10 ou 12 litres par jour et par personne. C’est en dessous de la norme des situations d’urgence qui est de 15 litres par jour. Noël Djodinan Djimadoum admet que l’accès à l’eau est un grand problème dans le camp de Metché : « L’approvisionnement par camion-citerne est une solution à court terme parce que nous sommes dans une situation d’urgence. ACF a le projet de réaliser des forages pour avoir des postes d’eau autonomes. L’objectif est de pouvoir à l’avenir alimenter 12 000 personnes en eau potable. »

 

DISTRIBUTION DEAU-min © Inès Olhagaray pour Action contre la Faim

 

Vers 3h du matin, les habitants du camp se lèvent pour disposer leurs jerricanes au pied des réservoirs. Ils feront la queue à leur place, le temps que le camion-citerne arrive. Puis à l’aube, les silhouettes réapparaissent, et s’installent dans la file. Ceux qui oublient de se réveiller feront un jour sans eau : leurs bidons recalés au fond par les plus matinaux.

Hamida habite à quelques centaines de mètres de l’un de ces point d’eau. Depuis un accident au Soudan il y a 2 ans, la jeune femme a du mal à marcher. Quand elle arrive trop tard pour remplir ses bidons, elle doit compter sur la solidarité de ses proches. « Ma sœur part avec plusieurs autres femmes pour chercher de l’eau au forage qui se trouve à 4km d’ici. Elles partent en équipe pour éviter de se faire violer mais aussi pour se soutenir le temps de la marche qui dure 3 ou 4 heures. » Quand on est une femme, s’éloigner du camp c’est risquer d’être agressée. Mais l’insécurité existe aussi dans l’enceinte. Hamida l’avoue, depuis que son mari est parti chercher du travail il y a une semaine, elle ne dort pas tranquille. Elle craint qu’un homme entre et ne s’en prenne à elle ou ses enfants. Alors à 18h dès qu’il fait sombre, elle ferme la grande porte en fagots qui donne sur l’allée.

 

HAMIDA ET SES ENFANTS-min © Inès Olhagaray pour Action contre la Faim

 

Sur ses genoux, la petite Inas gazouille dans sa jolie robe blanche. La fillette est née au Tchad, peu de temps après qu’Hamida ait décidé de quitter le Soudan. « Un jour une bombe est tombée près de chez nous à Zalingei et tout a brûlé. Mon mari était déjà parti au Tchad et j’étais seule avec Anis, mon petit garçon. Mon mari a trouvé un moyen de nous faire venir et nous avons tout laissé derrière nous. Nous avons pris du mil et de l’eau dans un bidon et nous avons voyagé avec ça comme seule nourriture. Le voyage était vraiment difficile. Il n’y avait rien pour nous transporter. Je suis venue toute seule à pied avec mon fils. J’étais enceinte de 7 mois. »

Inas, 9 mois, a été diagnostiquée en situation de malnutrition aigüe modérée quelques semaines plus tôt dans la clinique ACF du camp de Metché. Hamida y retourne régulièrement pour la consultation de suivi. Elle y récupère également la supplémentation qu’elle doit donner à manger à sa fille pour lui permettre d’aller mieux. Même si Inas est prise en charge, difficile pour cette jeune mère de ne pas se faire de souci. « J’ai perdu beaucoup de famille au Soudan. Quand elle est malade je suis très inquiète. Si elle ne prend pas de lait, ça me stresse. Je pense alors à mes proches qui sont morts et je me demande si ma fille va mourir aussi. »

Juste à l’entrée de la clinique se trouve un petit abri où les mères viennent faire le premier examen de leur enfant. Ali Mansour, le responsable du programme Santé Nutrition, observe son équipe procéder aux gestes nécessaires. « Il faut regarder s’il y a des œdèmes, mesurer le périmètre brachial, puis peser et mesurer l’enfant. » précise-t-il. Dans la grande bassine qui sert de balance, la petite Zarra pleure. Elle ne se consolera qu’au sein de sa mère, une fois les mesures terminées et consignées dans un registre. Le bébé est en situation de malnutrition aigüe sévère et devra absorber du Plumpy’Nut -un aliment thérapeutique- à raison de deux fois par jour pendant huit semaines.

« Chaque mois nous avons au total près de 400 enfants en situation de malnutrition aigüe sévère suivis sur les sites de Lycée et de Metché » explique Ali Mansour. Ces enfants sont particulièrement vulnérables pendant la saison des pluies. « Il y a des cas de paludisme et c’est un cercle vicieux entre les deux. Le paludisme peut provoquer la malnutrition et la malnutrition peut compliquer le paludisme. »

ENFANT MAS-min © Inès Olhagaray pour Action contre la Faim

 

Quand il reçoit de nouveaux patients, Ali Mansour leur demande toujours pourquoi ils ont quitté le Soudan. « Au début les réfugiés disaient qu’ils partaient pour fuir les violences. Désormais 90% d’entre eux me répondent qu’ils sont partis à cause de la famine. » L’afflux des réfugiés soudanais vers le Tchad s’est accéléré ces dernières semaines. Au mois de juin ils étaient environ 3000 à franchir la frontière chaque semaine au niveau d’Adré. Alors que le Tchad et le Soudan traversent tous les deux la période de soudure et la saison des pluies, ce chiffre a doublé début juillet¹. Pour beaucoup c’est la désillusion au bout de quelques mois dans le camp, raconte Ali Mansour. « Des patients me disent qu’ils pensent à rentrer au Soudan car les rations de nourriture sont insuffisantes. D’autres préfèrent retourner à Adré ou près des ouadis pour avoir de l’eau. »

Hamida, quant à elle, n’imagine pas quitter le camp. Afin de gagner de quoi acheter un peu plus à manger, elle vend du bois au marché. « On nous donne du mil, de l’huile, des haricots et du sel. Chaque fin de mois on reçoit une ration mais ça ne tient pas toujours jusqu’à la prochaine distribution. Quand je vends quelque chose je m’en sers pour acheter un morceau de viande. » Cela fait près d’un an maintenant qu’Hamida est arrivée au Tchad. « Au Soudan, avant de venir ici, mes deux frères ont été tués. Nous les avons cherchés partout mais nous ne les avons pas retrouvés. Parfois encore je rêve qu’ils viennent dans la nuit me réveiller. »

Avec le temps les mauvais rêves se font plus rares et son pays, pourtant à quelques dizaines de kilomètres, lui semble bien lointain. « Même si le Soudan se rétablit je ne pense pas pouvoir y retourner et aider ma famille qui est là-bas, car nous sommes trop pauvres. Mon avenir y serait trop sombre. »  Résignée, Hamida veut d’abord se soigner et chercher du travail pour offrir une vie décente à Anis et Inas, ici dans le camp de Metché.

 


¹Ce chiffre a chuté en août en raison des inondations

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