Les feuilles de tabac sont posées en tas, à même le sol. Trois vieilles femmes sont assises à côté. D’un geste lent et monotone, dans un silence seulement troublé par des cris d’enfants, les mains ridés les mettent à sécher, délicatement.
Cette activité est l’une des rares qu’Ouma, Laïla et Samia peuvent accomplir afin de gagner un peu d’argent. Depuis qu’elles sont arrivées au Liban, leur vie a profondément changé, à en oublier ce qu’elles étaient il n’y a pas si longtemps à quelques dizaines de kilomètres de là.
Derrière elles, la tente est plongée dans l’obscurité. Quelques rayons de soleil s’infiltrent à travers les sacs de jute qui font office de porte et fendent l’espace en deux, révélant le ton ocre des tapis posés au sol. Amir est installé sur des coussins, vestiges de sa vie d’antan, à une soixantaine de kilomètres de la frontière dans un village dont il préfère taire le nom. Amir nous raconte le départ précipité de la famille : « Nous avons été prévenus qu’une attaque risquait d’avoir lieu, nous devions fuir. Pour un maximum de sécurité, nous avons partagé la famille en trois groupes et nous avons pris la route au fur et à mesure. Imaginez que quelque chose soit arrivé alors nous étions tous ensemble : là au moins, certains d’entre nous auraient survécu ! ».
Amir était professeur de sociologie en Syrie, désormais il cultive le tabac que les femmes font sécher à l’extérieur. Il nous parle de sa vie, de ses craintes, puis son regard se perd dans des volutes bleutées.
© Nolwenn Poupon
Nous retrouvons Samia qui tend imperturbablement les feuilles de tabac sur des fils. Ses yeux cerclés de khôl sont tristes, son regard se perd souvent dans le vague, vers ces terres qu’elle a arpenté toute sa vie et qu’elle ne reconnaît pas. Samia pense à ses filles, restées de l’autre côté de la frontière. Cela fait des semaines qu’elle n’a pas de nouvelles. Elle change vite de sujet pour nous parler de sa maison, de ses souvenirs qui semblent si loin, de ses champs et ses vergers, des bêtes qui paissaient et de cette vie, âpre, mais qui était la sienne.
Amir nous a rejoints hors de la tente. Près de nous, une voiture, vestige des richesses de sa famille. Cela fait plus d’un an maintenant qu’ils sont arrivés ici. Il nous parle des bombes, de la peur et de la fuite. « Les bombes tombaient n’importe où, nous avons passé une semaine sans dormir. Peu après notre départ, la maison a été frappée à son tour, nous avons tout perdu ».
Les prénoms ont été modifiés