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À la Une

Jordanie

Jordanie : quel avenir pour les réfugiés syriens ?

Depuis 2014, Action contre la Faim intervient au nord de la Jordanie, à proximité de la frontière syrienne, ainsi dans le camp de réfugiés d’Azraq, où la baisse des financements internationaux a déjà un impact sur la vie des résidents. Le changement de régime en Syrie pourrait changer la donne mais la situation reste instable et le futur incertain.  

En Syrie, en 2011, un mouvement de contestation populaire est violemment réprimé par le régime en place depuis les années 1970. Tandis que l’opposition prend de l’ampleur, la répression s’accentue. Le pays bascule alors dans une guerre dévastatrice qui fait des centaines de milliers de victimes¹, et à laquelle vont prendre part plusieurs puissances étrangères.  

A ce jour, la Syrie reste une des plus grandes crises de réfugiés au monde. Plus de 7 millions de Syriens ont fui les violences à l’intérieur du pays tandis que 6,2 millions sont partis vers les pays voisins, en Turquie, au Liban, en Jordanie, en Irak et en Egypte.  

1,3 millions de réfugiés syriens se trouvent en Jordanie, ce qui représente 12% de la population du pays². Souvent cantonnés à des emplois précaires, ils demeurent un des groupes les plus marginalisés : 49% d’entre eux vivent au-dessous du seuil de pauvreté absolue et 77% de ceux vivant dans les communautés d’accueil (hors des camps) sont en situation d’insécurité alimentaire selon le Haut-commissariat aux réfugiés³ 

 

Vivre au milieu du désert  

 

Dans les ruelles du camp de réfugiés d’Azraq, des enfants courent, se chamaillent et jouent en laissant dans leur sillage d’épaisses volutes de sable. Les 14km² d’allées poussiéreuses et d’abris en tôle du camp sont le seul terrain de jeu qu’ils n’aient jamais connu. Nés dans des familles en exil, la plupart de ces enfants n’ont jamais vu la Syrie. 

Le camp de réfugiés d’Azraq a été conçu comme une solution afin de désengorger le camp de Zaatari. Contrairement à Zaatari, ce camp de 41 500 habitants est éloigné de plus d’une vingtaine de kilomètres des centres urbains, ce qui limite l’accès à des opportunités de formation et d’emploi. À la fin du mois de mars 2024, uniquement 8% de la population du camp, soit 1 239 résidents en âge de travailler, possédait un permis de travail leur permettant de sortir du camp⁴. Pour les autres, le temps semble s’être figé il y a dix ans et les jours dans le désert défilent et se ressemblent.  

 

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Nous retrouvons Ikram dans le salon de son abri, où elle anime les sessions de sensibilisation communautaire aux pratiques d’hygiène et de conservation de l’eau. En cette matinée d’hiver, l’air glacé du désert s’engouffre entre les pans métalliques des abris. Mais en été, confie Ikram, la chaleur est difficilement supportable et les résidents d’Azraq suffoquent, retranchés chez eux.    

Originaire de Damas, Ikram est arrivée dans le camp en 2013, avec son mari et ses 4 enfants. Elle se remémore les premiers mois passés dans le camp et évoque les difficultés liées à l’approvisionnement en eau. « C’était une période très difficile à vivre, une véritable épreuve. J’habitais dans un environnement dynamique et plein de vie, puis je me suis retrouvée dans un endroit qui m’a épuisée. Ma plus grande souffrance à mon arrivée ici était le manque d’eau, ou le fait de ne pas pouvoir obtenir de l’eau en quantité suffisante car sa distribution se faisait à des heures précises de la journée. Parfois, il y avait une forte affluence et une grande cohue pour obtenir de l’eau. Il fallait parcourir de longues distances pour la récupérer dans des bidons et souvent l’eau se renversait sur le chemin et était gaspillée. Par ailleurs, lorsque nous sommes arrivés au camp, nous n’avions pas de toilettes privées, que des toilettes communes ».  

Après dix ans, de nombreux défis liés à l’eau, l’hygiène et l’assainissement subsistent. Plus de la moitié des habitants d’Azraq, soutenus par les organisations humanitaires, ont installé des latrines privées chez eux. Mais les latrines communes, encore utilisées par 40% des résidents du camp, souffrent d’un déficit de propreté et d’hygiène. Par ailleurs, l’approvisionnement dans les points d’eau communaux est un défi que les femmes relèvent souvent seules. L’installation de robinets au niveau des parcelles est largement plébiscitée par les réfugiés.  

La hausse de la demande en eau du fait de l’afflux de réfugiés syriens et du changement climatique a exacerbé la pénurie d’eau en Jordanie, qui se hisse au rang de deuxième pays le plus affecté par la pénurie d’eau au monde. La conservation de l’eau et la lutte contre le gaspillage des ressources reste donc une préoccupation majeure.  

 

L’engagement communautaire comme vecteur d’émancipation pour les femmes 

 

La création d’un vaste réseau de volontaires parmi la population réfugiée, formé par Action contre la Faim (ACF), a été déterminante pour influencer les normes sociales et le comportement des résidents du camp dans le domaine de l’eau, l’hygiène et l’assainissement.  

Des actions de sensibilisation communautaire, sous la forme de visites porte à porte, de sessions de groupes et de campagnes publiques, ont permis de favoriser le bon fonctionnement des infrastructures d’eau, hygiène et assainissement, d’optimiser la conservation de l’eau et de diffuser les bonnes pratiques liées à l’hygiène menstruelle et à l’hygiène personnelle. Pour les femmes qui y participent, c’est un espace où elles peuvent se retrouver, acquérir des connaissances et partager les difficultés liées à la vie dans le camp, tout en renforçant leur rôle de référente au sein de la communauté.  

« Nous ciblons principalement les femmes et les filles car, en général, c’est la femme qui assume le plus de responsabilités dans les abris. C’est elle qui remplit l’eau et gère son utilisation, qui décide de la quantité nécessaire pour chaque besoin, ainsi que de l’endroit où jeter l’eau utilisée après le lavage et le nettoyage », explique Ikram, sur qui pleuvent les responsabilités du fait de la maladie de son époux.  

 

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L’engagement communautaire permet aussi de pallier le manque d’opportunités économiques. En Jordanie, la vie est chère et le chômage, qui s’élevait à 22% en 2023⁵ , reste un défi majeur pour le Royaume. Les femmes, particulièrement représentées dans le domaine de l’agriculture et du travail informel, sont aussi les plus affectées par cette conjoncture économique peu favorable. Ainsi, pour beaucoup de femmes réfugiées, s’engager auprès des organisations humanitaires permet d’arrondir les fins de mois.  

Depuis 2017, 65 représentants communautaires en eau, hygiène et assainissement, 750 mères « leader » et 65 jeunes ont été formés, avec des résultats probants dans le domaine de la conservation de l’eau et de l’hygiène. « Nous avons sensibilisé les réfugiés vivant dans le camp à des pratiques de conservation de l’eau et à les inciter à les mettre en pratique dans une proportion de plus de 20 %, ce qui est une réussite considérable compte tenu du contexte très limité et pauvre en ressources dans lequel vivent les réfugiés. Nous avons également un niveau très élevé de sensibilisation au sein de la communauté sur les bonnes pratiques d’hygiène », conclut Paul George, Directeur pays adjoint pour Action contre la Faim en Jordanie. 

 

Tenter sa chance hors du camp 

 

Malgré les défis posés par la vie en dehors du camp, près de 80% des réfugiés syriens ont tenté leur chance en dehors des camps. A Harta, dans le gouvernorat d’Irbid, de nombreux réfugiés résident dans des habitats informels à la périphérie des centres urbains.  

Après un bref séjour dans le camp de réfugiés de Zaatari, Ahmad a décidé de s’installer à Harta, à seulement quelques kilomètres de la Syrie. Il réside avec ses parents, son frère et sa famille, son épouse et leurs cinq enfants dans une tente qu’il déplace sur ses parcelles durant la période de récolte. « La province de Hama, notre terre natale, est une région syrienne rurale. La vie y est bien différente de celle des camps et l’adaptation à l’environnement des camps a été difficile. Nous avons donc préféré nous installer dans des villages ou des zones rurales qui nous rappellent nos régions syriennes. L’agriculture est notre identité, nous n’avons jamais envisagé une autre alternative», confie Ahmad en plissant ses yeux rieurs.  

 

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Le secteur de l’agriculture est un des rares secteurs dans lesquels les non-Jordaniens sont autorisés à travailler, au même titre que le secteur de la construction, des services et des industries de base. Sur le terrain de 2,8 hectares qu’il partage avec des familles syriennes réfugiées et des familles jordaniennes, Ahmad cultive le gombo, la courge, le concombre, l’oignon, les fèves et les pois. Il vend sa production dans les villages alentour, sur les marchés ou bien dans les commerces.  

Comme la plupart des agriculteurs de la zone, subvenir aux besoins de sa famille est toujours plus difficile durant la baisse saison et il lui arrivé de devoir s’endetter. « Le revenu que je retire de cette terre est raisonnable ; il couvre une partie de mes dépenses mais ne suffit pas à couvrir l’ensemble de mes besoins. Par exemple, il arrive que l’un de mes enfants tombe gravement malade et que son état exige des soins coûteux. Parfois, aussi, je dois acheter des fournitures scolaires ».  

Pour favoriser la pérennité de son commerce agricole, Ahmad participe à des formations mises en œuvre par Action contre la Faim en partenariat avec l’Agence française de développement (AFD) auprès des réfugiés syriens et des Jordaniens vulnérables. «Participer à cette formation est une chance. Les opportunités comme celle-ci ne se présentent pas tous les jours, et il était crucial pour moi de la saisir. Durant ces formations, j’ai appris à développer un projet de manière plus stratégique, à devenir un agriculteur plus qualifié et à adopter des pratiques innovantes », conclut Ahmad avec enthousiasme.  

 

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Une crise négligée 

 

Au niveau régional, les financements de la crise syrienne s’essoufflent, menaçant de dégrader les conditions de vie des réfugiés syriens tributaires de l’aide humanitaire. « On peut dire aujourd’hui que la crise des réfugiés syriens est une crise oubliée, du fait de l’importance des besoins et de la baisse des financements.Cette situation s’explique aussi par le contexte régional, mais elle est très difficile à gérer car l’aide au développement n’augmente pas en parallèle de la baisse des financements », explique Paul George, Directeur pays adjoint pour Action contre la Faim en Jordanie. En juillet 2023, les agences de l’ONU annonçait une réduction substantielle de leur programme d’assistance alimentaire dans les camps et les financements auraient chuté de 12% en 2024 par rapport à l’année précédente d’après l’ONU 

Les effets de cette rigueur budgétaire sont déjà bien visibles à Azraq. L’allocation mensuelle est passée de 23 à 15 dinars jordaniens (respectivement de 30 à 20 euros), ce qui compromet la capacité des réfugiés à assurer leurs besoins de base. « Nous ne sommes plus en mesure d’acheter des fruits, des fruits secs ou de la viande blanche pour les enfants, sauf en de rares occasions » se désole Fadil, un résident du camp originaire d’Hama. 

Malgré la fin du régime de Bachar Al-Assad, les conditions de retour ne sont toujours pas réunies pour les réfugiés syriens. Après une décennie de guerre et de déclin économique, 90% de la population syrienne vit sous le seuil de pauvreté et 16 millions de personnes ont besoin d’aide humanitaire.  

Dans les communautés d’accueil, les réfugiés syriens sont donc partagés entre optimisme lié au changement de régime et inquiétude due à la baisse de l’aide. Certains réfugiés, comme Fadil, ont tout perdu, ce qui éloigne la perspective du retour. « La Syrie a été complètement dévastée, il ne me reste plus rien là-bas. Même les oliviers ont été déracinés et brûlés et ma maison a été complètement ravagée par les bombes ». L’euphorie qui a suivi la chute du régime a progressivement fait place à des questionnements plus pragmatiques : dans un pays où les infrastructures et les services publics ont été réduits comme une peau de chagrin, comment assurer l’avenir de ses enfants ?  

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