Dans l’humanitaire, on aime les problèmes et on aime se compliquer la vie, et ce qui paraît très simple devient en fait très compliqué du fait des contextes particuliers dans lesquels on intervient… et cela est d’autant plus vrai pour ceux qui s’occupent de logistique. Un exemple concret : les coupe-ongles…
Aux Philippines et en particulier sur l’île de Panay, ACF souhaite organiser des distributions de kits d’hygiène. La plupart des gens ont perdu leur maison lors du passage du typhon. Ils ont également perdu tous les produits de base leur permettant d’avoir accès à une hygiène personnelle et sont majoritairement dans l’incapacité d’avoir des revenus en ce moment. En parallèle, les cas de diarrhées et les risques sanitaires augmentent dans les sites de regroupement: guère étonnant et avec les débris, la boue, l’eau un peu partout.
En coordination avec les autres acteurs humanitaires, on se lance donc dans l’idée de distribuer des kits d’hygiène à 500 familles dans un premier temps, dans les lieux où nous distribuons déjà de l’eau potable. Dedans : du savon, des brosses à dent, du dentifrice, de la lessive, un seau… et un coupe-ongles.
Paloma, une des logisticiennes d’ACF, se met donc en chasse pour trouver un maximum de ce matériel sur place, notamment au vu du temps que le matériel arrivé par cargo à Cébu met à rejoindre les îles. En général, l’idée est de trouver 2-3 grossistes, de faire une cotation rapide pour trouver le moins cher, et de passer par eux afin de gagner du temps. Pour la plupart des éléments du kit d’hygiène, c’est ce qu’il s’est passé… mais pas pour les coupe-ongles : impossible de trouver un grossiste. Paloma a donc fait le tour d’une quinzaine des plus gros magasins de Roxas : à chaque fois, ils avaient au mieux une vingtaine de coupe-ongles… et dans tous les cas, on arrivait à un maximum d’une centaine de coupe-ongles en totalité, donc bien loin des 500 nécessaires. Cette histoire de coupe-ongle commençant à bloquer la distribution de kits d’hygiène en entier et Paloma ayant une quarantaine d’autres achats et problèmes logistiques à régler (comme l’achat de 270 tonnes de riz par exemple…), au bout de 3 jours de recherches intensives, la question fatale est posée en réunion de coordination un soir : « euh… on a vraiment besoin de ces coupe-ongles dans les kits d’hygiène, parce que, là, bon, c’est pas simple… et c’est pas comme si c’était vital un coupe-ongle » Erreur ! Edgar, l’expert en eau et assainissement réplique : « bah, écoute, si tu veux remettre en cause les standards internationaux en termes d’hygiène, et les normes qui ont été mises en place aux Philippines sur ce que devaient contenir ces kits, je t’en prie… Le coupe-ongle, c’est important car un certain nombre de maladies hydriques s’attrapent notamment avec les salissures situées sous les ongles ; le typhus notamment. »
Bien tenté pour Paloma, mais raté.
Finalement, le lendemain, un chauffeur qui discutait avec le tenancier d’un petit magasin pendant que les équipes étaient en train de construire un réservoir d’eau dans un village, découvre qu’un grossiste « en coupe-ongles » existe sur l’île : c’est là qu’il achète ceux pour son magasin. Contact transmis en 5 minutes à Paloma, qui saute dans la voiture et va le voir tout de suite pour passer l’ordre d’achat. Le soir même, les 500 coupe-ongles sont dans le stock. On hésite à faire une cérémonie commune avec toutes les équipes ACF se coupant les ongles en même temps pour fêter ça.
Maintenant, il ne reste plus qu’à préparer les 500 paquets avec, notamment, un coupe-ongle dedans chacun…