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À la Une

Les Mahafaly

une société figée et paisible ?

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Quand on pénètre le plateau Mahafaly par ses pistes sablonneuses bordées de cactus et de tombeaux centenaires, on pourrait croire que le temps s’y est arrêté. Nombreux sont les hommes qui parcourent les chemins d’un village à un autre, armés d’une hache, d’une sagaie ou pour les plus riches un fusil, les épaules recouvertes de tissus colorés. De part et d’autre de la route on peut voir des groupes de femmes qui se dirigent vers les marchés, dans l’espoir d’écouler leur vannerie qu’on voit multipliée par dizaines d’exemplaires le long des chemins.

La vue des hameaux dispersés ça et là, constitués d’une poignée d’habitations traditionnelles, donne cette impression de photo figée dans le temps et semble correspondre mot pour mot aux descriptions qu’en faisaient les premiers explorateurs. Dans la quiétude villageoise, les femmes pillent le maïs assises dans l’ombre des maisons, les hommes reviennent des champs, les enfants jouent avec des morceaux de bois ou s’amusent à reproduire des scènes de marché. Les paysans s’adonnent à ces activités séculaires : l’agriculture et l’élevage.

Mais si ce décor figé et paisible se donne à voir aux regards naïfs et neufs, les habitants nous racontent ce qu’à l’œil nu, il est impossible de voir. En cette période d’adaptation de la société Mahafaly aux changements impulsés par l’extérieur (diminution de la pluviométrie, recherche pour les paysans d’un travail salarié, aménagement de certains rites dû à la confrontation avec la religion catholique) ou venant de l’intérieur (changements au niveau de la structure familiale), un phénomène particulier prend une ampleur considérable et en découlent des conséquences sur l’ensemble de la société Mahafaly : la recrudescence des vols de zébus opérés par les dahalo.

Lors de nos séjours dans les villages, nous avons observé souvent la présence d’hommes, regroupés avec leurs armes et couvertures colorées, discutant l’air sérieux : on nous raconte que ce sont les propriétaires de troupeaux venant des villages voisins ou parfois éloignés, partis à la poursuite des traces des voleurs de zébus. Dans le grand sud, chaque piste, chaque carrefour devient malheureusement le lieu de passage des brigands, semant la frayeur sur leur route. « Les vols de zébus ont toujours existé, ils remplissaient pour les hommes la fonction de rite de passage de l’adolescence à l’âge adulte, il est aujourd’hui très différent » nous dit un vieil homme dans un village.

« Mais aujourd’hui, le vol a dépassé largement ces épreuves de démonstration de la virilité, les dahalo ne viennent plus uniquement nous prendre nos zébus, ils en profitent pour piller la maison et peuvent aller jusqu’à nous blesser ou nous tuer ». S’accompagnant d’une grande violence, ces vols semblent inquiéter davantage les villageois que l’insuffisance d’eau 10 mois sur 12, le manque de structures sanitaires ou que les maigres récoltes qui ne suffiront pas à nourrir la famille durant les mois de soudure. Ces vols sont l’objet privilégié des conversations qui se commencent souvent par « Quoi de neuf ? » et en réponse « Grâce à Dieu, nous avons été préservés cette nuit encore de l’attaque des voleurs, on n’a donc pas à se plaindre ».

Cette problématique de vols freine et ralentit l’ensemble de la vie au village : on dort peu la nuit de peur de se faire surprendre et le jour, on parle des vols qui se sont produits aux alentours. Dans un contexte d’accumulation des richesses basée sur le troupeau de zébus qui agit comme une banque, ce n’est donc pas uniquement la sécurité physique des villageois qui est menacée mais également leur avenir.

Depuis toujours, de nombreux moyens sont mis en place pour lutter contre ce fléau au niveau villageois : un groupement d’hommes jeunes et vigoureux appelé kalony est spécialement organisé pour être opérationnel en cas de vol de zébus, des rondes de surveillance sont organisées la nuit, des pactes et réglementations (nommées dina et titike) sont signés entre villages assurant l’entraide en cas de besoin. Chaque villageois est responsabilisé dans les tâches quotidiennes de protection contre les voleurs. Par exemple, l’aplanissement du sable des pistes pour le dernier couché et l’observation, par le premier levé, de traces visibles, permet d’avoir une visibilité sur les mouvements nocturnes d’entrée et de sortie du village.

En cette période de recrudescence des vols, ces protections mises en place sont renforcées, on invite à la vigilance de chacun. Dans le Sud-Est du pays, les paysans ont dépassé ces simples mesures de surveillance et en sont venus aux armes pour se défendre contre les incessantes attaques de voleurs. Début septembre, le journal Le Monde dénombrait une centaine de morts lors des derniers affrontements liées aux vols de zébus. Depuis le mois d’août, de nombreuses confrontations connaissent cette fin de justice populaire dans le Sud malgache.

Malgré leur isolement, les Mahafaly voient de profondes transformations tant au niveau de leur environnement que de l’organisation communautaire et familiale. Un homme nous raconte à ce propos « l’argent que j’accumule aujourd’hui servira à l’achat de matériaux pour me construire une maison, mais plus comme auparavant pour agrandir mon troupeau, ça devient trop dangereux ». La recrudescence de ce phénomène de vols pourrait à terme conduire à un réinvestissement des richesses ailleurs et bouleverser par là les fondements mêmes de la société Mahafaly.

Face à l’ampleur de ces attaques, la société Mahafaly n’a d’autre choix que de s’adapter en renforçant des pratiques déjà en place et en bouleversant des pratiques séculaires. Ainsi, ces prochaines années risquent d’être déterminantes dans la nécessaire redéfinition des fondements mêmes de cette société.

Par Chiarella Mattern

 

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